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France : le Conseil constitutionnel retoque la loi HADOPI

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Publié le 11 juin 2009
Le Conseil constitutionnel a censuré, hier, l'une des principales dispositions de la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet, dite loi « HADOPI ». Dans ses considérants, les Sages du Palais Royal ont opéré un équilibre entre le droit de propriété et la liberté de communication.

Parmi les dispositions qui ont été contestées par les députés auteurs de la saisine, celles des articles 5 et 11 de la loi lesquels confiaient à une autorité administrative le droit de suspendre l'accès à Internet à une personne qui devait quand même payer l'abonnement.

Des principes constitutionnels à concilier

Dans plusieurs considérants de principes, la juridiction devait concilier deux libertés constitutionnelles. D'abord, elle reconnaît le principe du droit de la propriété laquelle a « connu depuis 1789 une évolution caractérisée par une extension de son champ d’application à des domaines nouveaux ». Parmi ces derniers « figure le droit, pour les titulaires du droit d’auteur et de droits voisins, de jouir de leurs droits de propriété intellectuelle et de les protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France (…) la lutte contre les pratiques de contrefaçon qui se développent sur internet répond à l’objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle. »

Ensuite, au regard du principe du droit de libre communication des pensées et des opinions, « en l’état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu’à l’importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l’expression des idées et des opinions, ce droit implique la liberté d’accéder à ces services. » La position ainsi prise est aux antipodes de celle de Mme Catherine Albanel, laquelle estimait que le droit à Internet « ne pouvait être considéré comme un droit fondamental. »

À cet égard, le Conseil reconnaît le droit à une « autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de puissance publique, puisse exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission dès lors que l’exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis. » En particulier, « doivent être respectés le principe de la légalité des délits et des peines ainsi que les droits de la défense, principes applicables à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité de nature non juridictionnelle. »

En revanche, s'il est loisible « au législateur d’édicter des règles de nature à concilier la poursuite de l’objectif de lutte contre les pratiques de contrefaçon sur internet avec l’exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer », toutefois « la liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés ». Le Conseil rappelle, par la suite « que les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi. »

Disproportion entre pouvoir de sanction et droit d'expression

Le dispositif retenu par le législateur a été battu en brèche par le Conseil lequel s'appuie sur deux griefs :

La compétence et le pouvoir de sanction de l'autorité sont remises en cause eu égard à l'étendue de ses prérogatives :

  • la Haute autorité en question n'est pas une juridiction mais pouvait restreindre ou empêcher « l’accès à internet de titulaires d’abonnement ainsi que des personnes qu’ils en font bénéficier » ;
  • la compétence reconnue à cette autorité administrative n’est pas limitée à une catégorie particulière de personnes mais s’étend à la totalité de la population ;
  • ses pouvoirs peuvent conduire à restreindre l’exercice, pour toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile.

Et au Conseil de rappeler que le législateur ne pouvait « quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d’auteur et de droits voisins ». Seule l'autorité judiciaire est donc habilitée à prononcer de telle sanctions.

Sur le principe de la présomption d'innocence, le Conseil a rappelé qu'en « principe le législateur ne saurait instituer de présomption de culpabilité en matière répressive. » Toutefois, « à titre exceptionnel, de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas de caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité ». Or, les conseillers ont relevé que la loi avait opéré un renversement de la charge de la preuve, obligeant l'abonné, seul à pouvoir à être sanctionner, de prouver que « l’atteinte portée au droit d’auteur ou aux droits voisins procède de la fraude d’un tiers ». Il s'agit là, selon le Conseil, une présomption de culpabilité instituée par la loi en contradiction avec l'article 9 de la Déclaration de 1789.

Validation sous réserves du volet « avertissement » de la loi

En revanche, le Conseil a validé le droit d'avertissement conféré à l'autorité administrative en question en émettant, toutefois, plusieurs réserves. Ainsi, après avoir reconnu la lutte contre le piratage comme « objectif de sauvegarde de la propriété intellectuelle et de la création culturelle », une autorisation « donnée à des personnes privées de collecter les données permettant indirectement d’identifier les titulaires de l’accès à des services de communication au public en ligne conduit à la mise en œuvre, par ces personnes privées, d’un traitement de données à caractère personnel relatives à des infractions. » Celle-ci doit avoir « d’autres finalités que de permettre aux titulaires du droit d’auteur et de droits voisins d’exercer les recours juridictionnels dont dispose toute personne physique ou morale ».

Il s'ensuit que « ces traitements seront soumis aux exigences prévues par la loi du 6 janvier 1978 susvisée ; que les données ne pourront être transmises qu’à cette autorité administrative ou aux autorités judiciaires ». Il reviendra donc à la CNIL, « saisie pour autoriser de tels traitements, de s’assurer que les modalités de leur mise en œuvre, notamment les conditions de conservation des données, seront strictement proportionnées à cette finalité. »

Autres réserves émises par le Conseil sur les contenus mis en ligne

Le Conseil a émis une autre réserve sur les actions en justice à l'encontre de contenus en ligne qui violeraient les droits d'auteur, ce dont les Wikimédiens appellent « copyvios ». Les députés socialistes y dénoncent ces mesures qui pourraient priver beaucoup d’utilisateurs d’internet du droit de recevoir des informations et des idées. Ils dénonçaient au passage « le caractère excessivement large et incertain de cette disposition pourrait conduire les personnes potentiellement visées par l’article 10 à restreindre, à titre préventif, l’accès à internet ».

C'est donc un oui mais que donne les juges à ces dispositions à la condition expresse qu'il « appartiendra à la juridiction saisie de ne prononcer, dans le respect de cette liberté [d’expression et de communication], que les mesures strictement nécessaires à la préservation des droits en cause. »

Les conséquences et les réactions

La censure opérée par le Conseil constitutionnel réduit à néant l'une des dispositions phares de la loi votée par le Parlement avec les rebondissements que l'on sait. Tout le monde a en mémoire le rejet par l'Assemblée nationale des conclusions de la Commission mixte paritaire, le nouveau vote et la mise au pas de la majorité parlementaire sur ordre de l'Élysée.

Dans un communiqué de presse le Parti socialiste relève que « cette décision souligne l’impasse dans laquelle s’est engagé le gouvernement. Au lieu d’inventer les nouveaux modes de rémunération de la création adaptés à la société numérique, il a choisi de s’enfermer dans une posture répressive et archaïque. Les libertés étaient attaquées. La création n’était pas aidée. » À la rue de Solferino d'indiquer : « Aujourd’hui, le vide juridique reste entier par la faute du gouvernement. La loi doit être entièrement réécrite avec le double objectif de garantir le financement de la Culture et de préserver les libertés des internautes. Le Parti socialiste organisera après l’été des états généraux de la Culture pour mener à bien ce débat et faire des propositions alternatives afin de rassembler internautes et des professionnels de la Culture. »

L'UMP minimise, de son côté, la portée de la décision du juge constitutionnel validant en « quasi totalité le texte HADOPI » mais considérant que « l’intervention d'un juge est indispensable pour décider d'une suspension d'abonnement ». Prenant acte de cette décision, le parti de Nicolas Sarkozy, exige qu'« un traitement spécifique soit mis en œuvre par la justice pour que sa réponse soit rapide, efficace et, qu'à cet effet, et si nécessaire, une disposition législative soit prévue le plus rapidement possible », au nom de « l'absolue nécessité de défendre l'exception culturelle française. »

Enfin, le Parti communiste exulte : « Battue à l’Assemblée Nationale, contredite par le Parlement européen, censurée par le Conseil Constitutionnel et dénoncée par des milliers d’internautes, il est évident que, mise à part Christine Albanel, personne ne veut de la loi Hadopi. ». Et à la place du Colonel-Fabien de s'interroger : « Pourquoi un tel acharnement à vouloir faire passer une loi inutile, dangereuse et inapplicable ? Christine Albanel mène un combat archaïque pour maintenir un modèle dépassé. Elle ferait mieux de mettre toute son énergie à travailler sur les nombreuses pistes qui existent aujourd’hui, comme la Taxation des profits des entreprises de télécommunication, la plateforme publique de téléchargement ou encore la licence globale. »

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Sources


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