Droit en France : le Conseil constitutionnel censure le régime de la garde à vue
Publié le 30 juillet 2010
Le Conseil constitutionnel a rendu public, à 14 h 30, sa décision portant sur la constitutionnalité du régime de la garde à vue en France. De nombreux requérants avait contesté plusieurs articles du code de procédure pénale régissant ce mode d'investigation de la police judiciaire. La Cour de cassation a donc rendu plusieurs arrêt de renvoi portant sur cette QPC[1].
La critique des justiciables porte sur les articles 62, 63, 63-1, 63-4, 77 et 706-73 du code de procédure pénale. De nombreux griefs étaient formulés à leur encontre dont la méconnaissance de la dignité de la personne, son caractère arbitraire, ainsi que la violation des droits à la défense.
Le Conseil constitutionnel a prononcé un non-lieu sur l'alinéa 7 de l'article 63-4 et l'article 706-73. Ces textes ont été déjà été déclarés conformes à la Constitution et aucune circonstance particulière ne justifiait un nouvel examen.
La banalisation des gardes à vue
En revanche, il en va autrement pour les articles 63, 63-1, 63-4 et 77 du code de procédure pénale. Ceux-ci n'ont pas été examinés directement par le Conseil, mais ils ont été modifiés à plusieurs reprises notamment par la loi du 24 août 1993. Cette dernière édictait un encadrement renforcé du recours à la garde à vue et une meilleure protection des droits des personnes qui en font l’objet. La loi avait été contestée par des parlementaires avant d'être validée par les juges. Plusieurs éléments ont été pris en considération pour que les Sages du Palais-Royal réexaminent la question.
En premier lieu, « certaines modifications des règles de la procédure pénale ainsi que des changements dans les conditions de sa mise en œuvre ont conduit à un recours de plus en plus fréquent à la garde à vue et modifié l’équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le code de procédure pénale. » Les juges ont relevé, en outre, que « la proportion des procédures soumises à l’instruction préparatoire n’a cessé de diminuer et représente moins de 3 % des jugements et ordonnances rendus sur l’action publique en matière correctionnelle ». À ceci s'ajoute la généralisation la pratique du traitement dit « en temps réel » des procédures pénales.
« Cette pratique conduit à ce que la décision du ministère public sur l’action publique est prise sur le rapport de l’officier de police judiciaire avant qu’il soit mis fin à la garde à vue. Si ces nouvelles modalités de mise en œuvre de l’action publique ont permis une réponse pénale plus rapide et plus diversifiée conformément à l’objectif de bonne administration de la justice, il n’en résulte pas moins que, même dans des procédures portant sur des faits complexes ou particulièrement graves, une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l’expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu’elle a pu faire pendant celle-ci. La garde à vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause », relève le Conseil.
La police judiciaire française entretient le « culte de l'aveu », durant ces périodes de privation de liberté. Ceci a eu pour conséquence de « banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions mineure. », renforçant ainsi, « l’importance de la phase d’enquête policière dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugé », ajoutent les magistrats. Au doublement du nombre des officiers de police judiciaires[2], ces derniers ont constaté l'explosion du nombre de ces gardes à vue depuis plusieurs année. En 2009, ce sont près de 792 093 de ces gardes à vue qui ont été décidées. Ce chiffre dépasse les 900 000 si on tient compte des infractions routières. Le Conseil en a déduit que « ces modifications des circonstances de droit et de fait justifient un réexamen de la constitutionnalité des dispositions contestées. »
Une méconnaissance des droits à la défense
Le Conseil, dans plusieurs considérants de principe, rappelle que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale. S’agissant de la procédure pénale, cette exigence s’impose notamment pour éviter une rigueur non nécessaire lors de la recherche des auteurs d’infraction. Il doit opérer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, l’exercice des libertés constitutionnellement garanties. Ainsi, le principe même de la garde à vue respecte ces exigences considérée comme une « mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire. » Cette mesure est accompagnée d'un bémol : « des garanties appropriées encadrant le recours à la garde à vue ainsi que son déroulement et assurant la protection des droits de la défense. »
Le Conseil n'a pas ménagé ses critiques sur le dispositif en vigueur. La première porte sur les articles 63 et 77 du code de procédure pénale « où toute personne suspectée d’avoir commis une infraction peut être placée en garde à vue par un officier de police judiciaire pendant une durée de vingt-quatre heures quelle que soit la gravité des faits qui motivent une telle mesure ». Les juges constatent, en plus, « que toute garde à vue peut faire l’objet d’une prolongation de vingt-quatre heures sans que cette faculté soit réservée à des infractions présentant une certaine gravité. »
La seconde porte sur l'article 63-4 qui « ne permet pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat. Une telle restriction aux droits de la défense est imposée de façon générale, sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes. Au demeurant, la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence. »
« Dans ces conditions, les articles 62, 63, 63-1, 63-4, alinéas 1er à 6, et 77 du code de procédure pénale n’instituent pas les garanties appropriées à l’utilisation qui est faite de la garde à vue compte tenu des évolutions précédemment rappelées » en déduisent les Sages. Le Conseil a censuré ces articles pour déséquilibre dans la conciliation entre l'ordre public et les libertés individuelles.
Abrogation modulée dans le temps
L'invalidation des textes incriminés a pour conséquence de créer un vide juridique. Le Conseil a rappelé qu'il ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement. « Il ne lui appartient pas d’indiquer les modifications des règles de procédure pénale qui doivent être choisies pour qu’il soit remédié à l’inconstitutionnalité constatée », note la juridiction.
« Si, en principe, une déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à la partie qui a présenté la question prioritaire de constitutionnalité, l’abrogation immédiate des dispositions contestées méconnaîtrait les objectifs de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entraînerait des conséquences manifestement excessives » ajoutent les juges. Ces derniers ont donc modulé dans le temps de l'abrogation qui prendra effet le 1er juillet 2011, le temps pour le Parlement de voter une nouvelle loi.
Voir aussi
- La décision du Conseil constitutionnel sur Wikisource.
Source
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- ((fr)) – « Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 ». Conseil constitutionnel (France), 30 juillet 2010.
- Page « Droit en France » de Wikinews. L'actualité du droit français.