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France : levée de boucliers contre la suppression des juges d'instruction

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Publié le 7 janvier 2009
Lors de la rentrée solennelle de la Cour de cassation, le Président de la République, Nicolas Sarkozy devrait annoncer la suppression des juges d'instruction. À la place, il y substituerait un Parquet surpuissant selon le modèle anglo-saxon. C'est ce qu'annonce le journal Le Monde dans son édition d'hier soir. Cette réforme a suscité une vague de protestations dans le monde politique et judiciaire.

Réactions dans le monde judiciaire

Cette rumeur a provoqué une levée de boucliers au sein de la magistrature, en délicatesse avec Rachida Dati, Garde des Sceaux. Déjà le Syndicat de la magistrature estime que « c'est la mort d'un système judiciaire indépendant, puisque le parquet est entre les mains du pouvoir ». Dans un communiqué de presse publié hier, le syndicat dénonce l'attitude de Nicolas Sarkozy dans « une politique expéditive et brutale qui a, sous son autorité et son impulsion, été conduite à l’égard de la Justice depuis son entrée en fonctions ». Le syndicat appelle au boycott de cette rentrée solennelle. « Il apparaît maintenant que la Cour de cassation sera le 7 janvier le lieu d’une opération de communication de M. Nicolas Sarkozy dont l’audience solennelle ne servira que de prétexte. La conviction des magistrats de ne pas servir, par leur présence, de caution à une telle mise en scène ne doit que s’en trouver renforcée », conclut le SM.

Selon l'Union syndicale des magistrats, il s'agit de « de venger les hommes politiques d'actions positives des juges d'instruction dans les années 1980 et 1990 dans des affaires de corruption ».

À la suite du désastre de l'affaire Outreau, la commission ad hoc, composée par la suite, avait repoussé l'idée d'une telle suppression. Selon la présidente de l'Association française des magistrats instructeurs, Catherine Giudicelli, « La commission avait repoussé en 2006 la suppression du juge d'instruction au profit d'un juge de l'instruction en se fondant notamment sur des exemples étrangers ».

Le 11 décembre 2008, l'AFMI a déjà manifesté son hostilité face à une telle suppression. « En quoi le transfert au parquet et aux services police judiciaire des fonctions d’investigation actuelles du juge d’instruction, alors transformé en juge de l’instruction ou en juge des libertés et de la détention mettrait-il notre système pénal à l’abri des erreurs judiciaires ? » s'interroge-t-elle. Selon l'association, ces modus operandi sont démentis dans les faits : « Les exemples d’erreurs judiciaires en Allemagne, au Canada, en Grande Bretagne, ayant des systèmes accusatoires ou mixtes, montrent combien il n’en est rien. ». Au syndicat d'ajouter : « il ne peut être question, dans les dossiers criminels et correctionnels complexes, de supprimer les interrogatoires détaillés et les investigations complètes suivies par un magistrat. La possibilité pour la défense de mener une contre-enquête serait par ailleurs un puissant facteur d’inégalité entre les justiciables qui verront alors immanquablement l’efficacité de leur défense dépendre de leur situation de fortune. Quel aurait été le sort dans un tel système du bagagiste de Roissy ?  »

L'AFMI conclut, en outre, qu'il ne « s’agit pas ici de recenser tous les cas où seule la ténacité d’un juge d’instruction indépendant, instruisant à charge et à décharge, a permis d’avancer la vérité mais les dossiers du cimetière de Carpentras, de Richard Roman, de l’affaire Elf auraient-ils connu le même sort, “instruits” par des magistrats du parquet ? »

Réactions politiques

Quant au monde politique, c'est le tollé général. Au parti socialiste, il est question d'un « État totalitaire ». Deux points ont été relevés par le Bureau national. En premier lieu « elle porterait atteinte à l’indépendance de la Justice en confiant désormais l’instruction à des magistrats du parquet, soumis hiérarchiquement au pouvoir exécutif, a fortiori lorsque le pouvoir, comme c’est le cas aujourd’hui, intervient dans les affaires judiciaires au travers du parquet. » En second lieu, « elle remettrait en cause l’égalité des citoyens devant la justice. D’abord parce que le justiciable n’aura plus la possibilité de déclencher l’action publique si le parquet n'y consent pas. Ensuite, parce que selon les moyens dont disposent les justiciables, ils seront plus ou moins à même d’assurer leur défense. Le juge d’instruction n’instruisant plus à charge et à décharge, le travail des avocats n’en sera que plus complexe et donc que plus onéreux pour les justiciables ». « Celui-ci constitue étape supplémentaire dans la régression des libertés, les institutions étant désormais la cible principale de cette volonté de mise au pas (…) et à mettre sous sa coupe l’institution judiciaire en plaçant désormais l’ensemble du processus d’enquête sous la tutelle du ministère de la Justice », conclut le bureau national.

Pour les Verts, « cette mesure compliquera la défense des accusés les plus pauvres, favorisant ceux qui auront les moyens de payer un avocat confirmé ». Selon le parti écologiste, il s'agit de remettre « en cause de toutes les lois anti-corruption prises dans les années 1990 ». Dans son communiqué de presse, les écologistes rappellent,« alors que Sarkozy fait de la délinquance sa priorité n°1, il est étonnement souple concernant la délinquance financière, n’hésitant pas à gracier Jean-Charles Marchiani, condamné pour avoir détourné plus de 10 millions de francs ! Outre, la mise au pas du parquet, Nicolas Sarkozy souhaite également dépénaliser la délinquance financière et le droit des affaires. » Ils pointent du doigt le relèvement des seuils d'appel d'offre des collectivités territoriales, sous prétexte de crise économique. Il a également prétexté la crise économique pour annoncer le relèvement des seuils dans les appels d’offre des collectivités territoriales. « Dorénavant le seuil à partir duquel une procédure d’appel d’offres est nécessaire pour les marchés de travaux, passera de 206 000 à 5,15 millions d’euros ! Ces seuils étaient pourtant le résultat d’une longue lutte anti-corruption suites aux scandales des années 80 et 90 ».

Pour François Bayrou, il s'agit, une nouvelle fois, d'une foucade du chef de l'État. Corinne Lepage, vice-présidente du MoDem, parle d'une « justice aux ordres ». Elle manifeste une « très grande inquiétude sur les dérives autocratiques du pouvoir actuel (…) Après la réforme de l'audiovisuel public, le fichage généralisé, cette réforme qui n'a aucun caractère d'urgence participe d'un ensemble cohérent qui n'a pour seul objectif que de verrouiller l'appareil démocratique et favoriser une certaine délinquance, notamment politico-financière, en toute sécurité (…) la suppression du juge d'instruction vient donc en quelque sorte coiffer cet édifice afin de disposer d'une justice aux ordres, après avoir construit un système de contrôle direct et indirect des médias (…) Dans la mesure où d'ores et déjà la constitution de partie civile a été considérablement réduite (…) [un tel projet] signifierait qu'en réalité, plus aucune affaire politico-financière ou aucune affaire déplaisant au pouvoir ne pourrait faire l'objet d'une instruction en France ».

Selon le Front national, par la voix de Me Wallerand de Saint-Just, il s'agit de « masquer le fait que la justice française se situe au 23ème rang européen en termes de budget par habitant derrière la Géorgie, la Finlande, l’Arménie, l’Ukraine (…) En réalité Nicolas Sarkozy envisage de passer de notre système inquisitoire au système accusatoire en vogue dans les pays anglo-saxons (…) Seule l’institution du juge d’instruction français, c'est-à-dire un magistrat du siège indépendant instruisant lui-même à charge et à décharge, est de nature à véritablement sauvegarder les droits des accusés notamment les plus faibles ». Cette dernière position rejoint celle du parti socialiste dans son dernier communiqué.

Selon le journal Le Monde, seul Georges Fenech, membre de la commission Outreau et député UMP, s'est montré favorable à la proposition de Nicolas Sarkozy. Idem pour Patrick Devedjian qui juge que cette réforme défendra « davantage la présomption d'innocence ».

Sources


  • Page Droit en France de Wikinews Page « Droit en France » de Wikinews. L'actualité du droit français.