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Interview d'Étienne Barillier sur le steampunk

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Cet article est une interview accordée par Étienne Barillier
à Ceridwen, Harmonia Amanda et Tsaag Valren, pour Wikinews., le 13 novembre 2011.


Dans cette interview, les liens internes redirigent vers des articles de Wikipédia.
Les questions et les réponses n'engagent que les protagonistes.
Étienne Barillier au moment de l'interview, aux Utopiales 2011.

Le festival des Utopiales s'est tenu à Nantes du 9 au 14 novembre 2011. Ce festival consacré à la science-fiction s'intéresse aussi bien à la littérature qu'au cinéma ou au jeu vidéo. Étienne Barillier, auteur de Steampunk! y était présent.

L'interview

Wikimedia : C'est votre premier livre publié, Steampunk! ?
Étienne Barillier : Non, j'avais déjà écrit un livre sur Fantômas, paru aux Moutons électriques, dans la bibliothèque rouge. Il s'agissait d'imaginer une biographie de Fantômas comme s'il avait existé réellement, en mélangeant les livres et l'histoire de l'époque.
Wikimedia : Cela vous a pris combien de temps de rassembler la documentation pour Steampunk! ? Certains titres cités ne sont même plus édités !
Étienne Barillier : Le livre a représenté à peu près deux ans de travail. Quand j'ai commencé, le steampunk n'était pas encore ce qu'il est maintenant. Ma fierté, c'est que ça a été le premier livre au monde sur le steampunk. Maintenant, d'autres sont sortis, aux États-Unis... Le mien a nécessité un gros travail de recherches, de recoupements, et aussi un gros travail de définition du corpus. Il me fallait avoir d'abord une définition du steampunk qui me permettait de trier, et après d'affiner ma vision du steampunk, histoire de pouvoir aller le plus loin possible. L'idée était vraiment de travailler en direction de la référence. Ne pas être totalement exhaustif : je n'ai pas tout mis, mais faire quelque chose qui puisse durer dans le temps. Le livre ne sera pas obsolète l'année prochaine, ni dans deux ans.
Wikimedia : Ce n'est pas difficile, parfois d'aller consulter les références ? Parce qu'il n'y a pas de bibliothèque steampunk !
Étienne Barillier : Non, en effet ! Maintenant j'ai une très belle bibliothèque steampunk. J'ai trouvé énormément de choses, par internet sur des sites spécialisés, et en travail de recherche. On trouve un auteur, qui donne accès lui-même à d'autres choses, à d'autres idées... Pour le jeu de rôle, il y a pas mal de titres qui ne sont plus commercialisés, mais qui sont toujours joués. Par d'autres médiums, on trouve sur internet les livrets de règles, on trouve les suppléments, etc.
Wikimedia : On voit en effet que vous vous êtes intéressé à de nombreux médias (littérature, comics, jeux de rôle...) et aussi à de nombreux pays différents. Vous parlez par exemple de l'animation japonaise...
Étienne Barillier : Pour la partie japonaise j'ai été aidé par Raphaël Colson, dont c'est la marotte. J'avais déjà écrit quelque chose, et lui il l'a repris et complété, car il y avait des références auxquelles moi je n'avais pas pensé. Par rapport à l'animation japonaise, je connaissais les grandes œuvres, mais il y a énormément de choses qui existent, qui montrent que le steampunk bouge là-bas beaucoup plus qu'on ne pourrait l'imaginer.
Wikimedia : Le steampunk n'a-t-il pas tendance à se diluer ? On est passé du steampunk de l'ère victorienne à Londres, pour se retrouver à Paris, ou dans des univers fantasy...
Étienne Barillier : Pour moi le steampunk est, c'est un peu provocant de le dire, un « genre mou ». C'est-à-dire que l'on peut y agglomérer ce que l'on veut. On peut faire du steampunk avec de la fantasy, avec du merveilleux, avec du fantastique, du policier, de la SF... Il n'y a pas une règle, pas un dogme qui fait que « le steampunk, c'est ça ».
Wikimedia : Ce serait l'aspect visuel du steampunk qui ferait sa force ? Est-ce que ce visuel de technologies du XIXe permet de classer en steampunk ?
Étienne Barillier : C'est le steampunk qui popularise. Je suis convaincu qu'une des forces du steampunk, c'est le fait qu'on le reconnaisse spontanément. Entrer dans un roman de science-fiction ou de fantasy, ce n'est pas facile. Pour un lecteur lambda qui se dit « tiens j'ai envie de lire ça parce qu'on m'a dit que c'était bien », s'il se jette dans Le Trône de fer et qu'il n'a jamais lu de fantasy... Il faut quand même qu'il y ait une petite éducation. Tandis que le steampunk, on peut rentrer dedans tout de suite, grâce à tout ce vivier d'images et de thèmes que l'on connaît déjà. Même mal, mais on les connaît déjà. On y rentre directement. Warehouse, les producteurs ont quand même le projet de faire une série dérivée, où ce serait le personnage d'H. G. Wells qui mènerait les enquêtes ! Et ils ont fait un épisode, d'ailleurs, qui sert un peu de pilote pour lancer ça...

Je pense que dans les années à venir, pour le pire ou pour le meilleur, il va y avoir des produits steampunk très grand public qui vont arriver.

Wikimedia : C'est aussi une marque du steampunk de piocher dans les personnalités réelles ou fictives de la période. Pourquoi ce besoin, à votre avis ?
Étienne Barillier : Avant le steampunk, il y avait des fantasy victoriennes, quantité de romans qui faisaient ça, mais le mot « steampunk » n'existait pas. La mécanique de reprendre de la fiction est quelque chose de somme toute très moderne, dans l'air du temps, on est dans le post-moderne. Le fait de reprendre de la fiction, reprendre les thèmes, les personnages, mais pouvoir y insérer en même temps les auteurs. Il est possible d'avoir une fiction qui se déroule dans le monde du docteur Moreau, mais que Wells fasse partie d'une expédition qui va lutter contre le docteur Moreau. Les strates de la fiction se mélangent. Cela fait partie du plaisir de la création, à la fois pour l'auteur qui se lâche dans son propre imaginaire, qui peut vraiment ce faire plaisir, et pour le lecteur qui est en connivence avec l'auteur, car cela peut activer des souvenirs, cinématographiques ou littéraires. Surtout pour Wells et Verne qui ont été énormément adaptés. Prendre le personnage de Nemo, c'est prendre le Nemo des livres, mais aussi prendre tous les Nemo suivants qui ont existé.
Wikimedia : Dans le steampunk, ces références sont très fréquentes. On a l'impression d'un jeu de clins d'œil avec le lecteur.
Étienne Barillier : Oui, cela peut aller de la simple citation, de la simple évocation, poussé à l'extrême dans la Ligue des Gentlemen extraordinaires... Quelqu'un comme l'américain Jess Nevins publie régulièrement des livres où il fait l'analyse de toutes les citations, de toutes les reprises. C'est quelque chose de formidable.

Mais il y a aussi des réappropriations. On reprend des thèmes, et cela en fait des objets très baroques. Ce n'est pas seulement « on imagine comment cela aurait pu se passer à l'époque », nous sommes conscients de notre culture, nous sommes conscients de notre histoire. On arrive là-bas, mais on s'y projette avec notre bagage. Là, il y a quelque chose de très fort.

Wikimedia : On prend du vieux pour faire du neuf, alors ?
Étienne Barillier : C'est une époque où la technologie était différente, où les gens prenaient le temps de vivre, où il y avait des bonnes manières... Même si la situation sociale était totalement affreuse, et que les conditions sanitaires pouvaient être terribles. On reprend Dickens, on revoit tout ça.
Wikimedia : Du coup, n'y a-t-il pas un risque d'épuisement, que le steampunk devienne désuet ?
Étienne Barillier : Il y a deux choses. D'une part il n'y a pas eu de grand succès steampunk. Pour les amateurs si, il y en a. Mais pour le grand public il n'y a pas eu le film qui lance le truc, le roman qui casse la baraque. On est encore juste sous la surface de l'eau.

D'autre part, c'est que comme c'est un genre qu'on peut s'approprier facilement, dont on comprend les codes facilement, il y a beaucoup de communautés au sens large, qui se disent « ben tiens, moi j'aime ça, c'est du steampunk. Je ne savais pas que cela s'appelait comme ça, mais moi j'aime ça ». Prenons le jeu de rôle : il y a vraiment beaucoup de jeux qui sortent ! Pour les communautés gothiques, certains font le pas et se rapprochent du steampunk... Les communautés de jeu de rôle grandeur nature... Ou simplement les gens qui aiment se fabriquer des costumes, et qui font, pour certains, un travail hallucinant.

Surtout que, comme j'ai eu l'occasion de le dire, quand quelqu'un fait du cosplay, il va prendre l'identité d'un personnage. Or pour le steampunk, il n'y a pas de personnage populaire. Donc ils créent une identité. Ce n'est pas un énième Naruto, un énième hobbit ou n'importe quoi... Ils ont un personnage, on est vraiment dans la logique du jeu de rôle. Certains ont des biographies, vivent des aventures... certains écrivent les aventures de leur personnage après sur Internet. C'est toute une dynamique, vraiment fascinante.

Le steampunk va être de plus en plus popularisé. Justin Bieber a fait une séance photo steampunk, avec un bras mécanique... Et je suis persuadé que cela a été mûrement réfléchi par un staff...

On est dans l'air du temps ! Il va y avoir, je pense, des gros trucs, des défilés de mode avec des influences marquées du XIXe, ça commence à apparaître... Le steampunk va continuer.

Wikimedia : Pensez-vous que le steampunk ait besoin d'une définition claire ? Du genre c'est l'Angleterre victorienne ?
Étienne Barillier : Ah non, mais en France on a un steampunk francophone, qui est pour certains auteurs victorien, mais on a beaucoup de séries steampunk, notamment en bande dessinée, qui ne se déroulent pas dans l'Angleterre victorienne ou édouardienne.

Pour moi le steampunk n'est pas lié, je vais me faire tuer sur les forums là... Si on prend une définition stricte, oui, c'est une fiction référentielle victorienne, mais ça exclut toute la production française. Je préfère parler d'une uchronie référentielle avec un goût de l'émerveillement, de l'aventure. Le steampunk, c'est avant des choses qui nous projettent vers l'action, le mystère, les grandes histoires d'amour. On éclate la définition.

Wikimedia : Donc pour vous, L'Âge de diamant, de Neal Stephenson, roman de science-fiction, c'est du steampunk ?
Étienne Barillier : Oui, complètement ! Un des plus grands romans steampunk jamais écrits c'est celui de Gibson et Sterling, qui raconte l'accès à la conscience d'une intelligence artificielle ! Là on est dans un thème vraiment cyberpunk. En bande dessinée, on a Les Sentinelles qui se déroule pendant la première guerre mondiale, avec une espèce de super-soldat tragique... On a la série Thanatos, qui est une relecture de Fantômas à la sauce steampunk, on a la série Empire qui se déroule à l'époque napoléonnienne... On peut élargir le champ, en conservant la mécanique. La science est simplement arrivée plus tôt et on peut insérer des personnages réels dans la fiction.

Le danger pour le steampunk, c'est qu'il peut rapidement être caricatural. En prenant de la vapeur, des machines, des robes longues, des chapeaux haut-de-forme... Et une caricature qui est un peu transposable partout : on voit du Star Wars steampunk, du Star Trek steampunk... Ça c'est rigolo, si on va sur certains sites de gens qui s'amusent. Je crois que le propre d'une œuvre steampunk de qualité, c'est quand même d'avoir un fond, que ce soit dans la démarche de création, de travail de l'auteur, ou dans la qualité de conception du monde proposé. Le fait que la caricature existe montre bien que le steampunk est en train de prendre du poids. Et après les gens vont être agacés par le steampunk, et il va continuer...

On voit bien le « diesel punk » qui apparaît de plus en plus. Ce qu'on appelait avant le « rétrofutur », ce qui est exactement la même chose, sauf que maintenant on crée une filiation. C'est toute une démarche de visitation, de promenade dans des cultures et dans des imaginaires.

Wikimedia : À l'origine du livre, c'était une envie personnelle, une demande de l'éditeur, un besoin de la littérature d'avoir un livre sur le steampunk ?
Étienne Barillier : Un peu les trois à la fois ! Je parlais avec mon éditeur André-François Ruaud, et on essayait de trouver un sujet pour un livre. Donc moi je lui proposais des tonnes de choses, il disait non, c'est son métier, un éditeur dit non souvent, et j'ai proposé le steampunk, et il m'a dit « pourquoi pas ».
Wikimedia : Donc le steampunk, ce n'était pas la première proposition ?
Étienne Barillier : Cela faisait partie des premières. Je pensais que le steampunk, ça allait être facile à faire. Quand j'ai commencé à écrire le livre, à faire mes recherches plutôt, j'ai senti que le matériau bougeait. Des forums apparaissaient qui n'existaient pas six mois avant, et qui tout d'un coup devenaient très actifs, sur facebook les choses s'organisaient... Des sites apparaissaient en France, qui fédéraient les choses... En musique, des groupes qui sortaient avec des productions solides : ce n'étaient plus des gens qui s'étaient amusés, mais des gens qui faisaient vraiment une musique de qualité. C'était ça qui devenait vraiment fascinant.

C'est pour ça qu'il y a ce dernier chapitre, qui est consacré à l'explosion totale du steampunk, qui montre qu'on est sur une vague ascendante. Personne ne sait jusqu'à quand ça va pouvoir monter, mais par un hasard fabuleux, j'étais là au bon endroit et au bon moment.

Wikimedia : Finalement on se demande si le thème cette année aux Utopiales c'est « Histoire(s) » ou « steampunk » !
Étienne Barillier : Cela fascine tout le monde, avec l'exposition de Greg Broadmore, même si on n'est plus vraiment dans le steampunk avec lui, on est plus dans le rétrofuturisme. Moi ce que j'aime, c'est regarder les gens qui regardent ça. Surtout les gens qui viennent en famille, qui ne sont pas familiers de la science-fiction. Voir les gens qui sourient, c'est formidable.

Les conférences permettent également de brasser des sujets très larges. À Nantes, dès qu'on parle de Jules Verne ! Il y a des gens qui ont acheté le livre, qui étaient curieux de découvrir ce que ça pouvait être, avides, d'une certaine façon, d'être un peu guidés.

Wikimedia : Si vous ne deviez conseiller qu'un seul livre pour découvrir le steampunk ?
Étienne Barillier : Ce n'est pas un question facile, parce que recommander Les Voies d'Anubis, c'est donner une fausse idée. Pour un lecteur francophone, moi je lui recommanderais La Lune seule le sait, de Johan Heliot, qu'il avait écrit alors qu'il ne savait pas que le steampunk existait, et qui est un formidable roman d'aventures. Il est accessible, parce qu'il y a Victor Hugo, parce qu'il y a un Napoléon III sous la coupe de gentils extraterrestres, parce qu'il y a la Lune... Je pense que c'est un livre qui ferait une très bonne introduction.
Wikimedia : Et pour un film ?
Étienne Barillier : Il n'y a pas eu de grands films steampunk. Il n'y a eu qu'un seul film steampunk, c'est Steamboy. Mais est-ce que c'est un film qui peut être vu par tout le monde ? C'est vraiment un film qui vient de très loin, un film qui vient du cœur, un film très dense, et qui par certains aspects n'est pas un film facile. Même s'il y a des scènes d'action qui son absolument sublimes.

Le dernier film qui avait des éléments steampunk, c'était Sucker Punch de Zack Snyder. C'est un film construit avec toute une série d'épisodes, et il y a un épisode qui se déroule durant une première guerre mondiale avec des robots géants et des filles en petites tenues armées de sabres de samouraïs, donc bon... Il n'y a pas de scénario, on est vraiment dans l'imagerie, dans le visuel pur steampunk.

La grande œuvre steampunk, qui serait à la fois une œuvre d'initiation pour le grand public tout en ayant de quoi satisfaire les amateurs... Mais quelque part, est-ce que la grande œuvre des films de genre existe, qui plaise à la fois aux fans et au grand public ? Il y a des éléments steampunk qui existent dans quantité de films, qui vont des Mystères de l'Ouest, le film, l'araignée géante... à des mangas...

Je crois vraiment que d'excellentes choses vont bientôt sortir, avec ces fous furieux qui passent un temps fou à faire des choses avec un niveau de production de qualité, maintenant, quasiment professionnelle. Je pense vraiment que des choses sympas vont arriver.

Notes et sources


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