France : Polémique autour d'une vidéo « clandestine » de Ségolène Royal
Publié le 11 novembre 2006
Après la mise en ligne, mercredi 8 novembre d'une vidéo de Ségolène Royal, prise lors d'une table ronde du PS à Angers en janvier 2006, la polémique autour des propos de la candidate à l'investiture socialiste pour l'élection présidentielle de 2007 ne faiblit pas.
Sous le pseudonyme Jules Ferry, un anonyme avait mis en ligne sur le site français de partage de vidéos Dailymotion un extrait sous-titré où la favorite des sondages (en compagnie de Jack Lang et Pierre Mauroy) évoquait des propositions « assez révolutionnaires » pour réformer l'éducation. Elle s'étonnait notamment de voir des entreprises de soutien scolaire « cotées en Bourse » qui employaient des professeurs du secteur public alors que ceux-ci n'avaient « pas le temps de faire du soutien scolaire individualisé gratuit ». Elle y proposait que les enseignants du collège, « nœud de l'échec scolaire » « restent 35 heures au collège » pour aider les élèves en difficulté. Soucieuse de ne « pas encore (...) crier [la proposition] sur les toits parce que je ne veux pas me prendre des coups des organisations syndicales enseignantes » et d'attendre un « pacte avec les organisations syndicales » pour agir, Ségolène Royal a également affirmé vouloir travailler avec les « nouvelles générations d'enseignants si les autres nous disent : "ben non, droits acquis, on fait nos 17 heures de cours et puis on s'en va !" ». Les réactions du groupe de militants étaient mitigées, allant du sourire de façade aux rires.
Les réactions à cette vidéo et à sa mise en ligne ont été rapides. Laurent Fabius, autre prétendant à l'investiture socialiste s'est offusqué sur TV5Monde « d'utiliser quelque chose fait à l'insu de quelqu'un » pour néanmoins condamner les propos de sa rivale : « Je pense que le candidat doit tenir le même langage quelles que soient les circonstances (...) quels que soient les publics » (faisant allusion au caractère secret des propositions), pour ajouter qu'il ne pensait pas que c'était « une bonne idée de dire que les enseignants ne travaillent pas ».
Dominique Strauss-Kahn a également sévèrement critiqué les propos de Ségolène Royal, estimant qu'on ne peut « rien faire à l'école si c'est contre les enseignants. (...) Il faut les convaincre, les inciter, trouver les moyens de les rémunérer pour faire en sorte que si on veut améliorer le soutien scolaire ce soient les enseignants qui le pratiquent ».
Les syndicats enseignants, d'habitude prompts à condamner de tels propos, se sont retenus, à l'image de Gérard Aschieri, secrétaire général de la FSU (syndicat majoritaire parmi les enseignants) de peur d'« être instrumentalisés » à une semaine du vote des militants socialistes pour désigner leur candidat, flairant une « manœuvre » : « le fait que ça apparaisse maintenant n'est pas innocent » estime-il tout en exprimant son « désaccord avec ce qu'elle a dit » jugeant cette proposition de la part de « quelqu'un qui a été ministre délégué » « typique de l'idéologie plaquée sur la réalité ». « Il y a les heures devant les élèves et puis il y a tout le reste qui a besoin de liberté d'organisation » a-t-il argumenté : « 35 heures, ce n'est pas réaliste et pas adapté au métier d'enseignant ».
Dans une interview accordée au Nouvel Observateur, Claudie Martens, co-secrétaire générale du SNES déclare que « Les propos tenus par Ségolène Royal dans cette vidéo suscitent beaucoup d'étonnement, de colère et d'indignation chez les enseignants ». Tout en ayant admis que la publication de la vidéo à ce moment de la campagne avait été faite pour « nuire à Ségolène Royal » elle a rectifié les dires de la candidate : en effet, l'emploi du temps complet d'un professeur du secondaire français est de 18 et non pas 17 heures hebdomadaires, et « selon une récente enquête le temps de travail [total] est de 42 heures hebdomadaires », se répartissant entre les cours en tant que tel et « les cours à préparer, les copies à corriger, les sorties à organiser, le suivi des stages, les échanges avec les collègues, les réunions avec les parents, les conseils de classe, la formation personnelle... ». En contre-partie de soutien personnalisé gratuit, la secrétaire propose de « de diminuer leurs heures de cours » et de regrette la suppression des étudiants-surveillants.
Du côté des partisans de Ségolène Royal, on considère que la polémique lancée mercredi est censée décrédibiliser la candidate qui caracole en tête des sondages depuis plusieurs mois, faute d'arguments. Gilles Savary, un de ses porte-paroles parle de « coup bas de fin de campagne » et souligne que Mme Royal était « passionnée par les problèmes de l'éducation » et « favorable à un pacte avec les enseignants ».
Sur son blog, Serge Bardy, secrétaire fédéral de Maine-et-Loire précise les modalités de la rencontre réunissant « des enseignants et aussi de proviseurs de collège » et s'étant déroulée « dans un esprit libre et sincère ». Il se dit « scandalisé par la méthode utilisée [pour] nuire à Ségolène Royal » à l'aide « d'images volées, détournées, d'extraits tronqués ». Il accuse « un élu angevin proche de Dominique Strauss Kahn » qui avait demandé cette vidéo réalisée pour la fédération fin octobre, d'avoir participé à la mise en ligne du document.
La principale intéressée s'est refusée de participer à la polémique. Intervenue dans le 19/20 de France 3 vendredi soir, elle dit ne pas vouloir « aborder ces sujets au détour d'une polémique [mais] au moment de la campagne présidentielle. » et a exprimé « la gratitude et l'estime de tous les socialistes pour la tâche qu'accomplissent les enseignants ». Considérant que l'extrait du débat falsifiait son discours, elle a assuré « que les organisateurs allaient prochainement mettre sur le Net dans sa totalité ».
La campagne des trois prétendants (Ségolène Royal, Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius) est notamment passée par le site Dailymotion qui héberge gratuitement des vidéos en ligne. On avait pu y voir des spots des partisans de chaque candidat, mais aussi des enregistrements clandestins du meeting du Zénith où Ségolène Royal avait été chahutée. La vidéo Profs: Ségolène en off a été regardée presque 250 000 fois en seulement trois jours.
Les militants socialistes désigneront leur candidat pour l'élection présidentielle de 2007 le 16 novembre prochain puis le 23 s'il y avait un second tour. Les enseignants représentent un enjeu crucial pour cette désignation, puisqu'on estime que sur les 200 000 militants du PS, il y a 30 000 soit 15% d'enseignants.
Sources
L'extrait vidéo
- ((fr)) – « Jules Ferry », « Profs: Ségolène en off ». Dailymotion, 8 novembre 2006.
- ((fr)) – Constance Baudry, « Une vidéo de Ségolène Royal sur le Net fait des remous ». Le Monde, 10 novembre 2006.
- ((fr)) – lefigaro.fr, « Royal s'attaque aux profs dans une vidéo ». Le Figaro, 10 novembre 2006.
- ((fr)) – Stéphanie Platat, « Des propos de Royal alarment les syndicats enseignants ». Libération, 11 novembre 2006.
Réactions
- ((fr)) – Isabelle Tallec, avec Reuters, « Ségolène Royal refuse la polémique ». L'Express, 10 novembre 2006.
- ((fr)) – nouvelobs.com, « Vidéo : Ségolène Royal dénonce un "dérapage" ». Quotidien Permanent du Nouvel Observateur, 11 novembre 2006.
- ((fr)) – France 3, « Vidéo : Ségolène Royal ne veut pas polémiquer ». France 3, 11 novembre 2006.
- ((fr)) – avec AFP et Reuters, « Vidéo: Les ségolistes accusent un "proche de DSK" ». Le Figaro, 10 novembre 2006.
- ((fr)) – Serge Bardy, « Réponse de Serge Bardy aux allégations malveillantes ». Pour nous c'est Elle, 10 novembre 2006.
- ((fr)) – Claudie Martens, interviewée par Bérénice Rocfort-Giovanni, « "Les réalités du métier sont méconnues" ». Quotidien Permanent du Nouvel Observateur, 10 novembre 2006.