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France : menaces de révocation contre un commandant de Gendarmerie sous fond de réforme de l'institution

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Publié le 4 juillet 2009
La direction générale de la Gendarmerie nationale[1] vient de convoquer le Chef d'escadron Jean-Hughes Mattely devant la Commission d'enquête en vue de prononcer de lourdes sanctions disciplinaires. Les autorités politiques françaises lui reprochent un « manquement grave à son obligation de réserve et (…) comportement (…) contraire à la déontologie et l'éthique militaire » pour avoir manifesté une « désapprobation claire vis-à-vis de la politique du gouvernement ».

Le commandant Mattely est, en outre, chercheur associé du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales[2] au CNRS. Il a, par le passé, publié plusieurs articles critiques sur la politique de sécurité des autorités de tutelles. En 2007, il a notamment publié une étude concernant la manipulation des chiffres concernant la délinquance et les taux d'élucidation des affaires à plus 100 %[3]. Cette étude concernait une période où Nicolas Sarkozy était ministre de l'Intérieur.

Les propos incriminés

Gendarmes d'une brigade motorisée

Mais ce sont trois interviews fin 2008 qui ont mis le feu aux poudres. Il émettait une position critique concernant la mise de la Gendarmerie sous la tutelle du ministère de l'Intérieur. S'exprimant en tant que chercheur du CESDIP, conjointement avec Christian Mouhanna et Laurent Mucchielli, il dénonce l'enterrement de la Gendarmerie dans l'indifférence générale. « C'est donc sans tambours ni trompettes, ni sonnerie aux morts, que vont en réalité se dérouler les obsèques de la plus vieille institution publique chargée de missions de police générale : la maréchaussée, rebaptisée Gendarmerie nationale en 1791, qui veille à la sûreté de nos concitoyens en dehors du centre des agglomérations, c'est-à-dire sur 95 % du territoire national ! », explique-t-il. Dans cet article, les chercheurs y dénonçaient une « révolution gestionnaire qui a frappé nos administrations depuis quelques années (…) une recherche de la rentabilité à court terme » au profit d'une police d'autorité et au détriment d'une police de dialogue.

« Il s'agit d'un énième épisode du désengagement de l'État et du recul du service public national », lancent-ils dans la foulée et de rappeler que « les gendarmes départementaux avaient su développer un modèle de rapport au public qui privilégiait le service au citoyen plutôt que l'application bornée d'innombrables textes de lois ». Alors que la commission Peyrefitte avait, en 1976, préconisé la police de proximité se basant sur le maillage territorial de la Gendarmerie, les chercheurs constatent la démarche inverse de la part des autorités françaises, trente ans plus tard. « Ainsi, c'est véritablement une régression historique qui s'achève sous nos yeux, dont on mesurera les effets délétères dans les années et les décennies à venir » écrivaient-ils en conclusion de leur article.

Risques de révocation

Il n'en fallait pas plus à la DGGN de convoquer… 6 mois plus tard le Gendarme-chercheur devant la commission d'enquête. Interrogé par la presse, J.-H. Mattely confie : « l'envoi devant un conseil d'enquête est le niveau disciplinaire maximal, habituellement utilisé contre des militaires parallèlement mis en cause devant les juridictions pénales, parce qu'auteurs de crimes ou délits. C'est dire à quel point la possibilité d'exprimer un avis critique est ici “criminalisée” ».

Bien qu'ayant, par le passé, émis plusieurs avis minoritaires au sein de l'honorable institution, ses derniers propos étaient partagés par de nombreux gendarmes y compris chez les officiers. Cette convocation coïncide avec l'examen, devant l'Assemblée Nationale, du texte modifiant le statut de la Gendarmerie.

Un projet critiqué

Le projet en question fait l'objet de nombreuses critiques parmi la classe politique française, y compris au sein de la majorité parlementaire. Cette volonté de modification est notamment motivée par la volonté de Bruxelles de ne plus voir de policier ayant le statut de militaire.

Sur certains blogs, plusieurs internautes ont fait entendre que le président Sarkozy « n'aime pas les gendarmes depuis une certaine affaire »[4]. L'actuel hôte de l'Élysée n'a jamais pardonné à la Gendarmerie de ne pas avoir été informé de l'accident vasculaire cérébral qu'avait subi Jacques Chirac en 2005. À cette époque, Jacques Chirac avait donné l'ordre de ne point révéler son hospitalisation au Val de Grâce ni à Matignon, ni à la Défense, ni surtout Place Beauvau où officiait un certain Nicolas Sarkozy. Ce dernier n'avait appris la nouvelle que le lendemain, lors de l'université d'été des jeunes de l'UMP, à La Baule.

Quoi qu'il en soit, le texte voté par l'Assemblée est loin de faire l'unanimité politique. Ainsi, le cercle Terra Nova, dirigé par Michel Rocard, dénonce la réforme. Dans un article intitulé « Fusion police-gendarmerie : la revanche de Fouché ? », le cercle a publié un article critiquant vivement le projet de loi. « Selon Jean-Jacques Urvoas, maître de conférence en droit public et député du Finistère, en vidant le statut militaire de la gendarmerie de ses quelques avantages, l'exécutif vise à rendre inéluctable la constitution d'une force unique de sécurité, une mesure ni souhaitable ni nécessaire » expliquent l'auteur de l'article. Dans ce long article, il est notamment écrit en conclusion « Les évolutions sociétales font que notre pays a plus que jamais besoin d’une force de sécurité à statut militaire. Comment une force unique de sécurité civile pourrait-elle remplir dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, les missions actuellement remplies par la gendarmerie, qui concernent 95 % du territoire et 50 % de la population ? ».

Et au cercle d'enfoncer le clou : « C’est là une dimension fondamentale à ne pas perdre de vue. Seul son statut militaire permet à la gendarmerie d’assurer l’égalité des citoyens en matière de sécurité, par l’entremise d’une disponibilité qui garantit une présence à faible coût sur tout le territoire. Y renoncer reviendrait à cautionner l’une des trois options suivantes, dont aucune ne s’avère vraiment rassurante : soit on se résigne à laisser s’instaurer un « désert français » dans le domaine de la sécurité, soit on consent à tripler les effectifs de la police nationale afin de garantir un niveau d’ordre équivalent à celui qui prévaut aujourd’hui, soit on s’en remet à des sociétés privées financées par le contribuable local, et plus ou moins efficaces selon le potentiel fiscal de la commune, du département ou de la région dont vous êtes résidant. Quel que soit le scénario retenu, il paraît en tout cas douteux qu’il obtienne l’assentiment de nos concitoyens ! »

Notes

Sources

Voir sur Wikipédia l'article
Jean-Hugues Matelly.


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