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Cet article est une interview accordée par Fabien Clavel à Ceridwen (réalisation), Tsaag Valren (préparation), pour Wikinews, le 12 novembre 2011.
Dans cette interview, les liens internes redirigent vers des articles de Wikipédia. Les questions et les réponses n'engagent que les protagonistes.
Le festival des Utopiales s’est tenu à Nantes du 9 au 14 novembre 2011. Ce festival consacré à la science-fiction s’intéresse aussi bien à la littérature qu’au cinéma ou au jeu vidéo. Fabien Clavel y était présent et nous a accordé une interview.
L’interview
Wikinews : Comme un grand nombre d’auteurs de fantasy, vous êtes passé par Casus Belli et le jeu de rôle. Est-ce que ces deux expériences vous ont aidé pour écrire ensuite ?
Fabien Clavel : Pas spécialement. J’ai commencé à écrire au moment où je suis passé par Casus Belli. J’avais déjà écrit un roman qui était en rapport avec le jeu de rôle, et je suis venu proposer un projet à Mnémos, qui voulait développer des romans dans les univers de leurs jeux de rôle. Donc j’ai présenté un premier projet, qui a été accepté, et j’ai écrit quatre bouquins avec eux. Et c’est après, parallèlement, que je me suis occupé d’écrire des articles pour Casus, d’écrire un supplément pour Nephilim, des choses comme ça. Mais c’était vraiment parallèle, mais mon envie première c’est d’abord d’écrire.
Wikinews : Car comme Casus Belli s’est relancé il y a à peu près un an… c’était avec la première édition, ou la deuxième ?
Fabien Clavel : C’est la troisième — je crois — mouture de Casus Belli, et moi j’ai travaillé pour la deuxième. Les quelques années, ça devait être début des années 2000… 2000, 2005, quelque chose comme ça. Donc c’était cette version là que j’ai connue.
Wikinews : D’accord. Votre série jeunesse La Dernière Odyssée a été primée. Est-ce que vous vous sentez plus à l’aise dans l’écriture jeunesse parmi la multitude de styles et de genres que vous avez déjà explorés ?
Fabien Clavel : Moi, je suis à l’aise dans les deux, par contre c’est vrai que j’ai remarqué : la première fois où j’ai été sélectionné pour un prix, c’était pour un roman jeunesse… la première fois où j’ai eu un prix, c’était pour du jeunesse… et en général, ce sont des livres qui se vendent un peu mieux pour moi, et qui sont plutôt davantage lus et appréciés. Donc, manifestement, ça marche, peut-être « mieux » en jeunesse, mais moi je en le sens pas comme ça au moment où j’écris.
Wikinews : Peut-être est-ce aussi parce que la littérature jeunesse s’ouvre aussi aux adultes, jeunes adultes… ça augmente un peu le succès ?
Fabien Clavel : Oui, le lectorat est beaucoup plus large, ça j’ai pu le remarquer. J’ai fait une série sur les vampires récemment, et je m’aperçois qu’en fait, il y a beaucoup de lecteurs et notamment de lectrices, qui ont la trentaine, qui ne sont pas du tout dans la cible de départ de la collection, mais qui lisent beaucoup de jeunesse.
Wikinews : Vous pensez l’expliquer comment ? parce que ça touche un petit peu tous les auteurs, la littérature jeunesse, ça marche quand même pas mal chez les jeunes adultes.
Fabien Clavel : Oui, ça marche bien, justement car on a arrêté d’écrire ça comme si les enfants étaient stupides ou étaient complètement décollés de la réalité. On s’est aperçu que c’était fait de façon sérieuse, que l’éventail des thèmes s’est beaucoup élargi, on peut parler de choses très sombres, très graves — en prenant des précautions bien sûr —, mais du coup tout le monde peut s’y retrouver, et c’est vrai que le lecteur — à mon avis — qui cherche quelque chose de plus facile à lire, tout en étant de bonne qualité avec des vrais thèmes, il peut se rabattre assez rapidement sur la littérature jeunesse, et y trouver son compte.
Wikinews : Récemment, vous avez écrit une série en deux tomes, consacrée à l’apprentie de Merlin. J’ai remarqué que presque au même moment Brucero et Pascal Lamour ont sorti un livre au thème presque similaire avec une jeune arboriste apprentie druide. Est-ce que vous pensez que la littérature arthurienne, vue à travers le thème de l’apprentissage, soit devenue un sujet d’actualité ? c’était d’ailleurs un des thèmes de la conférence…
Fabien Clavel : Je ne sais pas vraiment. J’ai vu effectivement qu’il y a eu des adaptations ; les adaptations en livres, je ne les connais pas. C’est vrai que c’est pratique, parce que souvent, ce qu’on demande en littérature jeunesse, c’est d’avoir un héros qui soit à peu près de l’âge, ou un peu plus, des lecteurs.
Et je dois avouer que pour L’Apprentie de Merlin, c’est pas moi qui ait eu l’idée de l’apprenti, c’est le directeur de collection Xavier Mauméjean qui est venu me voir en disant « Est-ce que tu aurais envie de faire quelque chose sur l’apprenti de Merlin ? » Moi ça m’a intéressé tout de suite, mais j’ai dit « Je voudrais que ce soit l’apprenti-e », parce que ce sera plus intéressant si c’est une fille, et j’ai trouvé que ça correspondait mieux au mythe de Merlin : on a déjà Morgane et Viviane, qui dans certaines œuvres, sont les disciples de Merlin. Donc, ce n’est pas moi qui ait eu cette idée.
Je pense que le thème comme ça, il se prête bien à la littérature jeunesse, puisqu’on a effectivement, on reprend le roman d’apprentissage, qui est un grand classique de la fantasy. On a souvent le héros très jeune qui grandit petit à petit, qui devient très puissant, qui arrive presque au début de l’âge adulte, à la fin du cycle ou du roman. Et en même temps, ça permet d’aborder la littérature arthurienne sous un point de vue un petit peu neuf. Donc c’est très pratique, je pense que c’est pour ça que ça va être intéressant.
Wikinews : Avant de parler de tout les livres sur les vampires, je voulais d’abord vous demander ce que vous pensez de Wikipédia. Est-ce que vous l’utilisez comme source quand vous écrivez ?
Fabien Clavel : Wikipédia, au départ, j’étais très méfiant. Il faut savoir que je suis enseignant aussi, et que j’ai beaucoup d’élèves qui passent leur temps, quand on leur demande de faire des recherches, à faire des copier-collers de Wikipédia. Avec le temps, mon point de vue a quand même pas mal changé là-dessus. J’encourage maintenant les élèves à aller sur Wikipédia, parce que je me suis aperçu — moi je suis plus prof de latin au départ —, donc j’ai pas mal regardé d’articles sur la littérature et cetera, et en fait, j’ai pas vu d’erreurs, pour moi j’ai toujours trouvé ça de bonne qualité. Donc maintenant, j’encourage les élèves à y aller, évidemment à retravailler, à multiplier leurs sources et cetera.
Le seul truc pour lequel je leurs dit de se méfier, c’est pour les articles d’actualité un peu chaude, où, parfois, il y a des guerres d’édition,… Mais je leur ai dit que, pour le reste, notamment tout ce qui concerne l’Antiquité et la Littérature, pour moi ça me semble de très bonne qualité, et personnellement je m’en sers beaucoup pour… en tous cas, comme point de départ, c’est-à-dire ça me donne beaucoup de bases, et après moi j’utilise les bibliographies qui sont données à la fin, et après je vais chercher dans des livres. Mais oui, je m’en sers énormément, ce serait mentir que de dire le contraire, et c’est très très utile et souvent très bien fait.
Wikinews : Pour passer un petit peu aux vampires, vous êtes intéressé au milieu vampires avec deux romans jeunesse bit lit, Le Miroir aux vampires et La Légion des Stryges, et un sujet au moins aussi exploré que la légende arthurienne. Pensez-vous qu’il soit possible de renouveler indéfiniment le thème ?
Fabien Clavel : Oui. Sinon j’écrirais pas des romans dessus. Oui, ça change énormément. Par exemple, si l’on regarde que ce soit la légende arthurienne ou le vampire, c’est une figure qui a beaucoup changé. Déjà, le vampire c’est relativement récent quand même, même si on a des formes qui existent depuis très longtemps — Lilith est sensée être la première forme vampirique ou assimilée —, mais le personnage a beaucoup changé. Au départ, un personnage comme Lilith qui est sensé être l’ancêtre des vampires ou les lamies, c’est des femmes stériles qui vont boire le sang des enfants, en gros pour compenser et tuer les enfants des autres. On passe par Dracula, et on en arrive aujourd’hui à des vampires qui brillent sous le soleil… Donc oui, on peut renouveler en permanence.
En ce moment, ce qui marche bien, c’est… — à mon avis, il y a plusieurs raisons. D’une part, on y voit une métaphore de l’adolescence, donc ça, effectivement, c’est ce qui rend les choses très palpables ; ça, c’est ce que faisait déjà Buffy contre les vampires il y a longtemps — qui est moi mon modèle en la matière. Mais après je pense que ce qui fait aussi — ça c’est à force de discuter dans des tables rondes, et de réfléchir au sujet —, c’est que le vampire incarne bien un petit peu les tensions de la société actuelle, où l’homme se comporte un peu comme un parasite, qui est en train de détruire un petit peu l’écosystème dans lequel il vit ; donc c’est le vampire qui se nourrit de sang, qui est déjà mort, etc., et en même temps il rêve d’être plus fort, d’être éternellement jeune, etc., et ça correspond avec le vampire à toutes ses caractéristiques.
Donc ça incarne vraiment bien le paradoxe de l’homme contemporain. Donc c’est très pratique pour ça, et c’est pour ça qu’en ce moment il marche, et je pense que dans quelques siècles, on aura toujours des vampires dans la littérature — sauf si la fin du monde arrive en 2012 —, mais on parlera encore des vampires, mais on trouvera d’autres sources à cette métaphore.
Wikinews : D’accord. Qu’est-ce que vous pensez sur la fascination des jeunes pour ces créatures, et de manière générale pour les thèmes violents et un peu glauques ? Un exemple : sur Wikipédia les articles Vampire et Loup-garou sont beaucoup plus consultés que ceux sur les féés, les lutins ou les licornes. Donc est-ce que c’est peut-être spécifique à notre époque ?
Fabien Clavel : Oui, oui, parce que ce n’est pas une époque très joyeuse, donc je comprends qu’on aille voir des vampires plutôt que des licornes. Car les licornes, c’est gentil, mais… il n’y a pas encore de cycles sur les licornes, c’est ennuyeux la licorne, ce serait un sacré défi. Intéresser les gens avec les licornes, à part pour les tuer — comme dans Harry Potter (ndt : tome 1, chap. 15), je veux pas dire, c’est mon idée — franchement, les licornes, qu’est-ce qu’on s’ennuirait.
Le vampire, c’est quand même plus rigolo, les bad boys c’est quand même toujours ce qui est plus intéressant, surtout qu’on en est arrivé quand même — on avait des héros très lisses, très parfaits —, on en est arrivé quand même à des figures d’anti-héros, donc le vampire peut bien correspondre à cette figure anti-héros, car il est à la fois séduisant et en même temps repoussant, donc ça marche bien.
Quant aux thèmes glauques moi personnellement, j’aime bien les thèmes glauques aussi, donc ça ne me gène pas du tout, je pense que c’est une manière d’exorciser, c’est un peu comme le hard rock par exemple, on va dire « Oh, ils écoutent de la musique violente, ils vont devenir violents ». Moi je vois plutôt ça comme une canalisation de la violence, et pour fréquenter pas mal de gens qui écoutent du hard rock par exemple, et j’en écoute moi-même, c’est pas les gens les plus violents qu’on va trouver, justement, ils trouvent une manière d’exutoire pour les angoisses, les frustration, etc.
Donc écrire sur des thèmes comme ça, en lire, pour moi c’est plutôt positif, c’est une manière de transcender, de sublimer un peu des choses, c’est cathartique ! et donc la littérature a son travail à faire là-dedans.
Wikinews : Je voulais savoir comment on abordait cette idée du vampire, qui finalement est effectivement un petit peu galvaudée — ça vous avez déjà répondu en partie —, et j’ai lié ça au fait que je sais que vous êtes fan de Buffy : qu’y avez-vous trouvé d’inspirant et d’enrichissant pour le mythe du vampire ?
Fabien Clavel : En fait, avant Buffy — pour répondre d’abord à la dernière question —, quand j’ai regardé Buffy, je connaissais très très peu les vampires. Mon modèle, c’est Buffy, je n’ai pas d’attraction particulière pour le vampire. Par exemple, Dracula, ce n’est pas un personnage qui me fascine, c’était vraiment la façon dont la série était construite, avec ce mélange de second degré et de thèmes très sérieux, très profonds, où justement il était allé au-delà aussi du vampire comme métaphore de l’adolescence, où vraiment toute la série, les sept saisons, sont construites dans Buffy comme une métaphore du passage à l’âge adulte. C’est pas juste « Je suis ado, je suis plein d’hormones, et ça va pas », c’est vraiment « je deviens adulte », et on voit les personnages trouver des métiers en cours de route. C’est ça qui m’intéressait vraiment. Surtout que moi, je l’ai regardé à l’âge où j’étais en train de devenir adulte ; je regardais ça, j’avais 18 ans, donc c’était vraiment pile au bon moment. Voilà ce que j’ai trouvé dans Buffy. Ce que j’ai trouvé aussi, c’est ce côté second degré, passer de l’humour où on va vraiment rigoler, à des moments beaucoup plus tragiques derrière, toute la richesse des histoires, etc. Buffy vraiment, c’est une source inépuisable de plaisirs et d’inspiration, parce qu’ils ont traité énormément de thèmes. Moi j’ai regardé la série cinq fois en intégrale, je pense que je vais la regarder encore, là je suis en train de finir la saison 5 d’Angel que j’ai vu aussi deux ou trois fois, donc ça c’est vraiment super, c’est un plaisir à chaque fois, et je trouve toujours de nouvelles choses.
Et ce que j’aime aussi, au niveau de la construction narrative — ça c’est plutôt sur l’écriture —, c’est que c’est une série qui fait très attention à ce qu’elle raconte. C’est-à-dire que dès qu’il y a un élément qui est posé pour un personnage, on le suit. Donc ils ne l’ont pas posé au hasard, bien sûr, et on le réutilise. Et même trois, quatre, cinq épisodes plus tard, voire une saison plus tard, on va reprendre des éléments d’autres saisons. Rien n’est gratuit. C’est ça que j’ai aimé, c’était relativement rare dans les autres séries. J’ai bien aimé cette cohérence narrative.
Pour revenir à la première question, c’était d’aborder le vampire de façon originale. Dans Buffy, ils ont fait quelque chose d’assez classique au départ, à part le côté « transformation en monstre » mais qui montre bien la dualité. Justement, moi j’ai pris ça un peu comme un défi.
Dans Homo Vampiris que j’ai écrit d’abord, mon idée était de l’aborder de façon SF, c’est-à-dire de trouver une explication pseudo-scientifique — parce qu’à mon avis elle tient pas la route pour des vrais scientifiques —, en définissant le vampire comme un parasite. Il est lui-même investi par un parasite, qui le transforme physiquement, et qui lui donne ses capacités. Et je voyais ça effectivement… je l’ai relié avec un monde, je l’ai projeté dans l’avenir, dans un monde vraiment où les problèmes écologiques sont importants, et le vampire était effectivement une métaphore de ce parasitisme, qui renvoyait au parasitisme humain qui est en train de pomper les ressources, et notamment le pétrole. Il y a beaucoup de passages dans le roman qui font des parallélismes entre justement l’exploitation du pétrole et le vampire qui suce le sang.
Ce qui m’amusait moi, c’était de faire un renversement où les vampires, au lieu d’être des chasseurs ignobles, étaient eux-mêmes chassés, puisqu’ils étaient pris pour cibles par des — comment dire — des croyants millénaristes, qui voyaient dans les vampires des symptômes de la fin du monde, et qu’il fallait s’en débarrasser pour le combat pour les âmes.
Ce sont tous ces éléments qui m’ont intéressés. Et il me semblait qu’un peu comme ça, je pouvais renouveler modestement l’approche du vampire, sachant que cela avait déjà été fait — dans Je suis une légende, on a déjà une approche scientifique, ça a dû être fait aussi à d’autres moments, mais bon — j’avais voulu donner cette approche là. Et au moment où le roman est sorti, on m’a dit « tiens, c’est de la bit lit ». Et dans mon esprit ça n’en était pas du tout. Donc je me suis dit après « tiens, je vais en faire de la bit lit » pour montrer ce que c’est, et puis un des buts que je me suis donné, c’est d’explorer tous les genres et sous-genres des littératures de l’imaginaire. Donc si possible vraiment passer de l’un à l’autre au maximum, et donc le bit lit j’avais pas fait, donc ça me faisait envie, et puis j’ai une idée qui m’était venue, et là j’ai complètement changé ma mythologie vampirique. Au lieu d’avoir donc des personnages très SF dans l’avenir, je suis parti sur le motif du miroir — d’où le titre, Le Miroir aux vampires, il y a une logique forte aussi, beaucoup de travail —, et je me suis aperçu que le miroir était très peu utilisé ; que c’était un motif qui revenait tout le temps, mais que personne n’avait développé à ma connaissance. Donc je me suis dit, je vais développer ça, en donnant des qualités particulières au miroir, une signification particulière, et donc j’ai complètement changé. Donc là, les vampires sont plutôt des créature plus ou moins magiques, ils sont moins morts-vivants — parce que le côté mort-vivant m’intéresse pas spécialement —, plus des créatures ophidiennes, et j’ai tout développé autour de ça. Et là par contre, j’ai respecté les règles de la bit lit, donc un personnage, une héroïne, qui adolescente ou fin d’adolescence, qui raconte à la première personne dans ce qui ressemble à un journal intime, avec une romance — évidemment j’ai essayé de tourner un peu de son fonctionnement habituel —… Mais voilà, j’ai respecté les règles en faisant ma propre petite sauce de mon côté.
Wikinews : Homo Vampiris respecte pas tant que ça les règles.
Fabien Clavel : Homo Vampiris beaucoup moins. Mais là vraiment, je l’avais fait pour faire un truc… j’avais vraiment envie de m’amuser, je voulais faire du thriller qui partait dans tous les coins, et donner surtout des pouvoirs différents aux vampires. C’est le côté rôliste justement, où on aime bien… J’ai très peu joué à Vampire : la Mascarade par exemple, mais moi j’ai retenu des histoires de jeu de rôle, c’est un groupe de joueur avec chacun qui a des caractéristiques différentes, et le groupe se complète. Et donc en général, quand j’écris des histoires où il y a un groupe, donc là notamment des groupes de vampires pour Homo Vampiris, il fallait que chacun ait des pouvoirs un peu différents. Donc j’ai relié ça à mon explication de départ, où les pouvoirs sont en rapport avec le sang ; par exemple, le pouvoir de télékinésie, c’est un pouvoir qui est en rapport avec l’utilisation du fer présent dans le sang — même si voilà, à mon avis, effectivement, d’un point de vue scientifique, c’est indéfendable — mais… mais c’est rigolo, voilà, et j’ai pu leur donner un pouvoir de télékinésie. Dans ces cas là, il y a quand même une suspension de l’incrédulité, si il faut qu’on parte un peu… Et donc, ils ont chacun des pouvoirs différents, et ça ça m’amusait beaucoup. Et j’ai pas vraiment respecté les règles, c’était vraiment pour me faire plaisir.
Wikinews : Vous évoquiez tout à l’heure le contexte qui est très fort dans ce livre là, un texte politique, écologique, etc. Qu’est-ce que vous pensez que l’imaginaire peut apporter à cette thématique-là ? pourquoi est-ce que vous l’abordez de cette façon là ?
Fabien Clavel : Il y a deux choses. D’une part, moi, je fais de l’imaginaire, je ne fais pas des romans réalistes, justement parce que je ne veux pas coller au réel. Ce que j’aime aussi dans une série comme Buffy, c’est qu’elle parle de problèmes vraiment de la vie de tous les jours, des problèmes quotidiens, mais toujours sous une forme détachée, c’est-à-dire que ça passe par le prisme de l’imaginaire. Un peu comme les contes nous parlent des relations familiales, nous parlent de choses parfois très difficiles, mais les petits enfants peuvent l’écouter, parce que eux ressentent plus ou moins la signification du conte, sans que ce soit traumatisant. Pour moi, la littérature de l’imaginaire, c’est un peu la même chose, c’est-à-dire, on peut parler de sujets très durs, notamment bon ben voilà, l’exploitation de la nature et la disparition peut-être à terme de l’homme, enfin tous les problèmes que ça pose ; les faire à travers l’imaginaire ça me semble intéressant. Et ce sera plus accepté pour moi si on le fait comme ça, ça permet non pas de délivrer des messages, mais aussi de fantasmer un peu ces problèmes. Encore une fois il y a un effet cathartique, où soi-même en l’imaginant, en lui donnant une forme narrative, on va pouvoir le considérer plus acceptable, en tous cas supportable comme idée. Et peut-être que le lecteur, en le lisant, va se poser des questions qu’il ne se posait pas avant. C’est un peu l’idée.
Wikinews : Je termine avec cette question : sans Homo Vampiris, on dépasse le stade de l’aventure particulière de Nina, il y a quelque chose qui traverse le temps. J’avais envie de vous demander — j’y ai pensé à cause de la conférence de ce matin —, est-ce que vous croyez qu’il existe une transcendance ? si oui, est-ce que vous pensez qu’elle n’est pas dans l’humain ? Je me dis que finalement, ce qu’on cherche dans les vampires ou les super-héros, c’est justement un accès, une marche vers le divin…
Fabien Clavel : Si je reprend en gros toute mon œuvre — en mettant un O majuscule, enfin un E dans l’O —, si je reprend tout ce que j’ai fait, un des thèmes vraiment constants de mon travail, c’est justement l’absence de divin. Tout est construit autour de ça, et de voir comment les hommes s’arrangent avec ça. Et justement, j’ai conçu mes vampires comme des personnages qui s’opposent à la religion ; c’est pour ça qu’ils sont poursuivis par des religieux, pourquoi ? parce qu’à partir du moment où ces êtres sont immortels, ils ne craignent plus vraiment la mort, ils n’ont plus besoin de la religion, qui apparait comme la consolatrice. Donc ils apparaissent pour les religieux comme l’antithèse de ce qu’ils sont, et du coup les religieux, ça devient insupportables pour eux, c’est pour ça qu’il faut les faire disparaître. Ça, c’est la première idée.
L’idée un petit peu plus lointaine aussi, c’est que ces vampires-là — donc ils sont cinq dans le groupe —, ils ont été conçus en fait comme des vampires, c’est-à-dire, une fois que la peur de la mort a été éliminée, donc la religion est impossible, il n’y a pas besoin de dieu puisque on est tout seul, et en plus — c’est là que ça devient problématique, parce que pour moi c’est pas vraiment grave que l’on se passe de dieu, ça me semblerait plutôt une bonne chose —, pour eux, toute sublimation devient impossible, puisque — tel que c’est expliqué dans le livre —, c’est la peur de la mort qui pousse à pratiquer les arts, à s’engager politiquement, etc. Et donc tous les vampires qui sont là, ils pratiquent tous plus ou moins un art, et ils échouent. Vous avez, alors — j’ai oublié le nom de mes propres personnages —, celui qui est cuisinier, il le dit à un moment, il dit qu’il fait semblant, car il ne ressent plus vraiment les goûts [Marcus.] —Marcus, merci, heureusement qu’il y a des gens qui ont lu le livre. Si on regarde Ashanti, lui, c’est un engagement politique, mais on sent qu’il n’y croit plus complètement. C’est la même chose avec la danseuse, qui s’appelle… — je ne sais plus comment non plus, c’est pas très grave… [Fedora.] Fedora… ah, oui, d’accord… en plus c’est lié à Balzac… — la danseuse, c’est pareil, elle dit que quand elle danse, elle ne fait plus que répéter des gestes. Là indirectement, on a une influence… c’est une idée qui m’est venue en regardant Angel, où on a dans la saison 4 si je me rappelle bien, la première apparition de Summer Glau — qui jouera après dans Firefly —, qui danse dans un théâtre et refait tous les soirs la même — car il y a un magicien qui l’y oblige — elle refait tous les soirs exactement le même spectacle. Ça m’avait donné cette envie qu’elle fait chaque jour le même spectacle, parce qu’elle n’arrive plus à faire mieux, elle répète mécaniquement quelque chose qu’elle ne ressent plus. Tout était construit vraiment sur cette impossibilité de la sublimation. Et donc les vampires évidemment n’arrivent plus à être réellement humains, puisque en gros la sublimation c’est ce qui caractérise l’humain. Je me demande si je n’ai pas glissé une citation en cours de route — justement, le vampirisme, c’est la sublimation aussi, c’était vraiment mon postulat de départ dans le livre.
Du coup la transcendance, à chaque livre, elle est éliminée d’une manière ou d’une autre, ou en tous cas elle est problématique ; les hommes se débrouillent pour s’en débarrasser, ou luttent contre, ou on voit les problèmes que posent toute transcendance. Mais moi je reste vraiment du côté de l’humain. Pendant très longtemps dans mes premiers livres, je m’étais dit, je refus de décrire le ciel, car je ne veux décrire que les trucs qui se passent au niveau du sol. Bon après j’ai laissé tombé, car c’était vraiment trop compliqué, et c’est toujours beau de décrire le ciel.
Là, j’ai d’autres projets qui sont en route ; et à chaque fois, la figure de dieu va être soit éliminée, soit elle est absente, etc. C’est ce qu’on retrouve un peu dans une autre série qui est pour moi un peu dans la lignée de Buffy, en un peu moins bien, c’est Supernatural, où l’on retrouve ça quand il y a les anges qui apparaissent, à partir de la quatrième saison je crois. Les anges apparaissent, et ils se promènent, et justement on a le problème du dieu absent : personne n’a vu dieu depuis longtemps, personne ne sait où il est, personne ne sait sa volonté, et les anges se débrouillent comme ça. C’est un truc qui me parle moi, c’est un thème que j’aime, où, voilà : que fait l’homme sans Dieu ? et pour moi, il n’est pas forcément misérable, comme dirait Pascal — c’est pour frimer.