Interview de Claudine Glot, spécialiste de la légende arthurienne
Cet article est une interview accordée par Claudine Glot
à Harmonia Amanda et Tsaag Valren, pour Wikinews, le 13 novembre 2011.
Les questions et les réponses n'engagent que les protagonistes.
Le festival des Utopiales s'est tenu à Nantes du 9 au 14 novembre 2011. Ce festival consacré à la science-fiction s'intéresse aussi bien à la littérature qu'au cinéma ou au jeu vidéo. Claudine Glot était présente.
L'interview
[modifier | modifier le wikicode]Ensuite, je me rappelle bien des cours d’histoire, car j’ai eu la chance d’être éduquée avec l’histoire événementielle, et pas la nouvelle histoire où l'on étudiait le rapport du champ de blé au XVIIe siècle dans l’arrière-pays Limousin sans savoir qu’à la même époque, il y avait aussi un roi qui s’appelait Louis XIV et qui essayait de conquérir l’Europe entière avec ses dragons ! Je trouve dommage que l’histoire ne soit pas racontée aux enfants comme… « comme une histoire ». Après, bien sûr, on rentre dans les spécialisations que l’on veut, mais il y a une malhonnêteté à ne pas donner aux gens leur passé. On a tous droit à le connaître et faire ses choix. Hier, j’ai écouté un débat passionnant sur l’Histoire, tout le monde disait « notre histoire a 2000 ans ». 2000 ans, c’est quand même phénoménal, on raye en deux mots la Grèce et Rome. Qu’on aime ou qu’on n’aime pas, notre histoire est quand même « légèrement » construite là-dessus !
J’ai donc gardé le goût des légendes, la légende arthurienne est venue par un effet d’entonnoir. Dans ce que je lisais, il y avait aussi des choses que j’aimais plus que d’autres. J’ai fait des études de latin, grec, puis lettres modernes en fac car je voulais justement garder l’Histoire, et je ne pouvais pas concilier les lettres classiques avec l’Histoire. J’étudiais donc du latin, du français et de l’histoire des Temps modernes (note : elle s’arrête à la Révolution). Je suis une grande fan de « vrais » romans historiques, en France on ne se remet jamais de Dumas, quoi qu’on fasse.
Petit à petit les choses se sont affinées, et je me suis passionnée pour un domaine dont on ne parle jamais : le monde celtique. J’ai eu la chance de ne pas étudier la légende arthurienne en Fac – chance car ainsi, je ne suis pas passée par la dissection, par la forme du verbe être chez Chrétien de Troyes à la troisième personne du singulier ! Toutes choses qui se mettaient déjà en place – les début de la mainmise des didacticiens… On nous apprend que le roman médiéval c’est le sens et la conjointure, on n’apprend plus que la conjointure, c’est quand même très fâcheux. J'écoutais Anne Fakhouri dont j'aime beaucoup le travail d'écrivain, elle a expliqué que sa réception du roman, c’est la littérature, la façon dont on écrit les choses. Derrière cela il y a quand même les profondeurs de la forêt, et c’est là que tout se joue.
A 16 ans, j’ai retrouvé une partie de ma famille que je ne connaissais pas en Bretagne. La Bretagne de cette époque n’a rien à voir avec celle de maintenant, j’arrivais du sud-ouest et en Bretagne, il y avait un autre ressenti, une autre lumière… J’ai découvert les contes bretons, ce qui m’a renvoyée à ces récits que j’avais lus. Et à 21 ans, toujours par des hasards de vie, je me retrouve près de la forêt de Brocéliande. Aggravation de mon cas, aggravation sévère !
Même si on avait été plus engagés que ça dans des mouvements, on a le droit, à 20 ans et à 21 ans, d’avoir des attitudes que l’on regrette après. Il est tout à fait possible (et là je ne parle pas que de nous) d’avoir été un peu extrémiste ou exalté à 20 ans, et de ne plus l’être à 40, encore moins à 60. Il y a, aujourd’hui encore, une certaine mauvaise foi et une diabolisation que je trouve elle fasciste. Au début des années 70, J'ai vendu des journaux bretons dans la rue, participé à des défilés avec des cornemuses et des personnes costumées, c'était amusant.
Ça nous a permis de fonder une revue qui s’appelle Artus. Il me reste des numéros pour qui veut les voir, voir ce que l’on a écrit au lieu de dire « c’est des fachos ! » et de fermer la porte. On recevait les contributions de gens de droite comme de communistes : ce n’était pas par l’option politique que passaient nos critères mais par le talent, le savoir et toujours l’amitié. Parce qu’on parle du Nord-Ouest Européen, on entend toujours dire « vous vous croyez supérieurs », mais non ! La différence m’intéresse, je défie quiconque de trouver dans ce que l’on a écrit une seule phrase disant « les celtes sont supérieurs ». Aujourd’hui encore, je croise des gens, en forêt, qui disent « on ne sait pas très bien ce qui se passe là-dedans » [cf au centre arthurien], voire qui nous accusent d’être une secte : c'est délibérément malhonnête, pour savoir ce qui se passe il suffit de venir nous voir. Nous sommes une association, ouverte à tous, et nous recevons 30 000 visiteurs par an.
Le projet existant, il a démarré avec de petites expositions et des rencontres, jusqu’au jour où on nous a reçus à Comper. Il a fallu tout équiper et réaménager, mais c’était le lieu le plus magique qu’on puisse avoir, Comper a réellement « fait » le centre arthurien. Le château est au croisement de la légende et de l’Histoire, on ne pouvait rêver mieux. Très rapidement, l'équipe d'Artus a suivi, puis on a vu venir des gens extrêmement variés et inattendus.
J’ai fait deux rencontres frappantes, qui m'ont convaincues que cette légende est vraiment fondamentale. Mario Vargas Llosa (prix Nobel de Littérature 2010) est venu au centre arthurien en 1996. Dans sa jeunesse en Amérique du Sud il avait lu des romans de chevalerie hispaniques, dont celui de Tirant le Blanc, et ça avait été pour lui une révélation totale, il avait continué à cheminer avec les romans arthuriens et médiévaux. Il a appelé sa fille Morgane.
Autre étonnement, un jour le cabinet de la région nous appelle pour accueillir la première femme ambassadeur d’Afrique du Sud après la fin de l’Apartheid. Je m'en étonne et apprend qu'avant d’être ambassadrice, elle était professeur de lettre, et adorait la littérature française médiévale. Son fils à l'université de Los Angeles se spécialisait en littérature française médiévale.
Des choses incroyablement inattendues arrivent, des gens qui disent « j’ai toujours rêvé de ça ». La légende arthurienne a quelque chose en plus, les histoires gréco-latines on les étudie, mais on ne se les raconte plus alors que la légende arthurienne, la matière celtique et bretonne continue, a toujours quelque chose à dire, ce qui reste pour moi un vrai mystère. Les avatars récents de la littérature arthurienne sont plus qu’abondants, des études là-dessus commencent à se faire, en particulier chez les Américains. Ils étudient les films, les comics par exemple. Anne Berthelot, qui est une médiéviste, et une encore plus grande spécialiste de Merlin, travaille aussi là-dessus.
On s’est surtout basés sur le Conte du Graal, Parsifal, les Continuations du Conte du Graal, Perlesvaus, on est partis là dessus en essayant de bâtir une ligne scénaristique qui se tienne un petit peu. Avec Lancelot, on entre plus dans le merveilleux et dans le mystique avec la Quête du Graal. On a dû recourir à certains romans en prose car certains éléments ne sont que là, notamment sur Merlin, ou avec La mort du roi Arthur, qui est un très grand roman. A là fin de celui-ci, on voit le romancier médiéval partagé entre deux fidélités, il garde la nef des fées, il garde le guerrier transfiguré qui va vers Avallon, mais c'est un auteur chrétien, alors comment expliquer qu'Arthur revienne ? Seul le Christ ressuscite. Il arrange son affaire en disant « trois jours plus tard on l'a revu, et il est mort... ». On a retiré ce double langage, on a gardé le roi Arthur qui part vers Avallon, le côté féerique, le rideau de pluie percé de soleil, on a privilégié le merveilleux et le fantastique plus que le spirituel et le mystique, c'est notre seul parti pris sur le 3ème tome par rapport aux sources originales.
Notes et Sources
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