Dans cette interview, les liens internes redirigent vers des articles de Wikipédia. Les questions et les réponses n'engagent que les protagonistes.
Le festival des Utopiales s'est tenu à Nantes du 9 au 14 novembre 2011. Ce festival consacré à la science-fiction s'intéresse aussi bien à la littérature qu'au cinéma ou au jeu vidéo. L'écrivain Erik L'Homme y était présent.
L'interview
Harmonia Amanda : Votre première série publiée, Le Livre des Étoiles, s'appuyait sur le mythe breton de la cité d'Ys. Pouvez-vous nous parler de votre appropriation de la légende ?
Erik L'Homme : Je ne sais pas si c'est une appropriation de la légende. La légende forme le contexte de cette série. Je ne suis pas breton, par contre j'ai des liens assez forts avec la Bretagne ; grâce à l'absence de télévision, et à la bonne volonté de mes parents qui le soir, l'hiver au coin du feu, l'été, l'après-midi, sur la terrasse, me lisaient des légendes, me racontaient des histoires. Parmi toutes ces histoires, bien entendu il y avait ce qu'on appelle la matière de Bretagne. J'ai baigné là-dedans : le rythme effréné des galops de chevaux, le choc des épées sur les boucliers... Et puis également, c'est en Bretagne qu'on allait en vacances, quand j'étais petit. Tout ça pour dire que même si je n'ai rien de breton en moi, la Bretagne m'a durablement influencé. Et c'était donc tout naturel que mon premier livre se déroule dans une ambiance celte. Mais après je ne fais pas de réinterprétation, je ne fais pas de réappropriation de la légende, c'est vraiment la toile de fond, l'air marin que les héros respirent. Après, ce sont des histoires qui se rapprochent davantage de celles de Tolkien que des légendes bretonnes.
Harmonia Amanda : Vous écrivez souvent avec plusieurs personnages principaux, par exemple pour le Livre des Étoiles il y a certes le héros Guillemot, mais il est entouré de camarades, et pareillement dans Maîtres des brisants...
Erik L'Homme : Oui, j'aime bien les bandes en fait. Je pense que c'est, peut-être, l'influence du Club des Cinq, quand j'étais petit, ou, un peu plus grand l'atmosphère d'autres romans qui mettaient en scène, pareillement, des groupes de jeunes qui avaient ce point commun de vivre des choses un peu incroyables, ensemble, sans la présence des parents. Ça c'était génial. Ça fait rêver parce qu'il n'y a pas pire frein à l'aventure que la présence des parents. C'est leur rôle. Leur rôle c'est de protéger les enfants, et quand on les protège ils ne peuvent pas se mettre en danger, et donc ce qu'ils vivent (tant mieux ou pas tant mieux, peu importe)... Mais quand on écrit un livre, un roman, il faut qu'ils soient en danger. Il faut qu'ils vivent des aventures. Donc le principe de la bande, c'est qu'il n'y a pas les parents, mais ils ne sont pas tout seuls. Ils peuvent compte les uns sur les autres. Un pour tous, tous pour un ! Moi j'aime bien cette atmosphère de petit groupe, de compagnie.
Harmonia Amanda : Vous écrivez de la littérature jeunesse, avez-vous déjà été tenté par un lectorat plus adulte ?
Erik L'Homme : Jusqu'à présent non. Je n'en ai pas ressenti le... besoin, l'envie, forcément. On a toujours un peu envie d'aborder tout ce qu'on n'a pas encore abordé. Mais non, pour le moment je n'ai pas écrit pour les adultes. Je ne me dis pas : « un jour je vais écrire pour les adultes ». Il se trouve que peut-être un jour, j'aurai envie d'attaquer une histoire qui s'adressera à des adultes. C'est comme ça que ça se passe, pour moi.
Harmonia Amanda : Est-ce que quand on écrit pour un public d'enfants, il peut arriver de s'autocensurer ?
Erik L'Homme : Non, je ne me suis jamais autocensuré, tout simplement parce que, quand je mets en scène, quand je raconte une histoire (comme Le Livre des Étoiles, par exemple), mes héros, mes personnages, ont treize ans à peu près. Je me glisse à la hauteur de mes personnages. C'est-à-dire que j'essaye de voir le monde comme eux pourraient le voir. Donc j'essaie de me rappeler le garçon que j'étais quand j'avais treize ans. Quand je me mets à cette hauteur, je ne vois pas ce que je pourrais censurer : je ne vais pas lui faire vivre des aventures sexuelles torrides. Quand on a treize ans ce n'est pas à ça qu'on rêve. Je ne vais pas le faire trucider des gens etc... Il va vivre pleinement l'aventure, des choses parfois dramatiques, parfois folles, parfois terribles, mais par son regard, celui d'un garçon de treize ans.
Je parlais de sexualité ou d'érotisme... Quand mon personnage (Guillemot ndli) dans une salle de cinéma touche la main de Ambre, son cœur bat à tout rompre ! Quand on a treize ans, c'est énorme ! Et c'est ça qui se passe.
Harmonia Amanda : La scène est en effet très belle, c'est elle qui tend la main et lui...
Erik L'Homme : Lui n'ose pas ! Voilà, il n'y a pas besoin d'en mettre plus. De toute façon quand on a treize ans, c'est ça qui se passe. Je n'ai pas à me censurer.
Harmonia Amanda : L'histoire se crée donc d'abord autour des personnages ?
Erik L'Homme : Histoire et personnages, c'est un tout. Et après c'est le point de vue que je vais adopter qui me pousse à entrer... je ne dirais pas dans la peau, car je reste le narrateur omniscient à la troisième personne, mais dans le point de vue des personnages. D'ailleurs ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas de violence ou de choses comme ça, mais ce sont des violences que peuvent ressentir des jeunes de treize ans. Bon, toujours dans le cadre du Livre des Étoiles, par exemple l'absence du père, pour Guillemot c'est une violence terrible. Pour un adulte, ça ne signifie plus rien, mais pour un garçon de treize ans, c'est une violence terrible. Par contre, là où certains adultes m'ont dit qu'ils avaient trouvé ça violent, c'est dans les batailles... les gens qui se coupent des bras, des têtes... Pour les enfants ce n'est pas de la violence, c'est du grand-guignol ! Ça fait partie du jeu. La violence n'est pas au même endroit, elle ne correspond pas aux mêmes choses.
Harmonia Amanda : Pour avoir lu Le Livre des Étoiles à douze ans environ, la fin, quand le héros perd sa magie, avait quelque chose de terriblement triste. Finalement, cette fin assez ouverte, avec cette petite note d'optimisme, m'avait fait rêver pendant des années à la suite que vous pourriez écrire. C'est à la fois une fin ouverte, et à la fois difficilement exploitable. C'est un projet ou non ?
Erik L'Homme : Je n'ai jamais pensé à une suite. Par contre, c'est évidemment volontaire, cette ouverture, et ça a très bien fonctionné, car énormément de lecteurs, même maintenant, viennent me voir et me dire : « j'ai imaginé plein de trucs ! ». C'est ça je voulais, vous « obliger » à imaginer vos propres suites parce qu'il n'y en aura pas. Du moins pour l'instant.
Ce n'est pas par cruauté que ce personnage perd ses pouvoirs magiques mais, dans la mesure où il découvre que son maître Sorcier c'est son père, pour changer de relation, pour retrouver son père il ne devait plus être l'Apprenti du Sorcier. Donc en perdant ses pouvoirs magiques, de plein droit il retrouvait sa place de fils de son père, et non pas d'élève de son maître.
Harmonia Amanda : Vous avez travaillé aussi avec Pierre Bottero, sur A comme Association. Comment vous est venue l'idée de cette collaboration ?
Erik L'Homme : Il peut y avoir un lien de filiation avec Le Livre des Étoiles, puisque c'est en 2003 qu'on s'est rencontrés, au salon de Montreuil. Moi je venais de sortir mon troisième tome, Pierre venait de sortir sa trilogie Ewilan... On se connaissait par ces trilogies interposées. À cette époque-là il n'y avait quand même pas énormément d'auteurs français qui traitaient le genre de la fantasy.
Harmonia Amanda : Surtout pour la jeunesse.
Erik L'Homme : Pour la jeunesse, oui. Et donc c'est tout naturellement qu'on s'est retrouvés, qu'on a discuté, et très vite on s'est amusés à se dire qu'un jour se serait sympa d'écrire quelque chose ensemble. C'est à ce moment qu'on a commencé à aborder le sujet.
Harmonia Amanda : Et ce n'est pas dur de continuer tout seul ? (ndli : Pierre Bottero est décédé)
Erik L'Homme : Si, très dur. D'autant que le projet n'est plus celui du départ. Mais, pour que celui du départ ait un sens et puisse connaître un achèvement, il faut que je le termine.
Harmonia Amanda : Et l'hypothèse de travailler dessus avec un autre auteur ?
Erik L'Homme : C'était hors de question.
Harmonia Amanda : Et vous envisagez des collaborations avec d'autres auteurs, sur d'autres projets ?
Erik L'Homme : Non, pas pour l'instant. C'était vraiment une rencontre, juste avec Pierre, que j'avais envie de faire quelque chose. Pour le reste, le principal avantage d'être auteur, écrivain, c'est la difficulté et la facilité, c'est qu'on est maîtres de nos projets, contrairement aux scénaristes... Mais la difficulté c'est qu'on est tout seuls. L'avantage c'est qu'on est tout seul aussi.
Harmonia Amanda : Vous lisez beaucoup d'autres romans de fantasy ?
Erik L'Homme : J'en lis, je lis de tout. Mais il y a très peu de livres qui me font faire des nuits blanches. Les livres de mes nuits blanches, c'est essentiellement de la fantasy, parfois de la SF ou du fantastique.
Harmonia Amanda : Le dernier livre qui vous a fait faire une nuit blanche ?
Erik L'Homme : Hum, le dernier livre qui m'a fait faire une nuit blanche... Pas une nuit blanche, parce que ce n'est pas assez long pour ça, mais le dernier opus de Michel Robert, le sixième tome de l'Agent des ombres, le premier tome de la saison deux. Il n'y a pas de quoi faire une nuit blanche, mais en tout j'ai veillé assez tard.
Harmonia Amanda : Avez-vous déjà été inspiré dans votre propre écriture par d'autres auteurs ?
Erik L'Homme : Non, en fait je pense que les livres que je peux lire ne m'inspirent pas, mais par contre me fouettent, ou me donnent des envies. Certains parfois me freinent, carrément. Je me dis : « bon, tu arrêtes d'écrire, par rapport à ça tu n'arriveras jamais à faire quelque chose de valable ». Mais la plupart du temps ça donne envie.
Harmonia Amanda : Avez-vous envisagé des adaptations en jeux, par exemple ?
Erik L'Homme : Moi, je n'ai jamais rien envisagé de concret. A priori, je reste ouvert à tout, mais rien ne se fait.
Juste pour faire un raccourci entre ce qu'on a dit tout à l'heure entre Le Livre des Étoiles et A comme Association, que j'ai commencé avec Pierre et que là je termine seul, entre ces deux projets il y a eu deux autres séries. Contrairement à Pierre, je ne suis pas un créateur d'univers, lui a fait plusieurs séries autour de Gwendalavir. Moi je suis plutôt curieux, je touche à tout. Après Le Livre des Étoiles et son univers de fantasy, je suis parti dans de lointaines galaxies pour raconter l'histoire de Chien-de-la-Lune avec Maîtres des brisants. Ensuite je suis allé explorer le thriller fantastique avec Phænomen. À chaque fois ça m'a beaucoup plu. Changer d'univers, retrouver des personnages différents, qui vivent des aventures multiples... avec toujours ces points communs de la bande, du petit groupe, de ces adolescents d'âge variable mais qui, tous, sont confrontés à des tas d'épreuves et sont obligés de mûrir et de grandir pour s'en sortir. Cette idée sous-jacente de quête, qui me vient sans aucun doute de ces récits que j'entendais petit. La quête de la Table Ronde, mais aussi les quêtes des héros de différentes mythologies. Ces personnages qui vivent la quête et partent à l'aventure, que ce soit la recherche de la Toison d'Or, les travaux d'Hercule... Il y a toujours des épreuves desquelles on triomphe et on sort grandi.
Harmonia Amanda : Roman initiatique donc, avec cette composante du voyage. Il n'y a pas de héros sédentaires ?
Erik L'Homme : On part en quête. On se met en quête. Ça implique le mouvement. Et même, imaginons un cas extrême, d'un personnage cloué dans un fauteuil pour une raison quelconque, il va partir en quête malgré tout. Je pense à ce livre de LondonLe Vagabond des Étoiles, où un prisonnier, dans un quartier de haute sécurité avec sa camisole, part se libérer et part en quête à l'intérieur de lui-même. Il se replonge dans ses vies antérieures. La quête ramène à soi-même, dans tous les cas, et il a toujours mouvement, et donc voyage. Même si on reste immobile. Pour qu'on avance, il faut qu'il y ait mouvement.
Harmonia Amanda : Achever un roman, cela vous grandit, d'une certaine façon ?
Erik L'Homme : Je ne sais pas. Si je monte sur la pile de mes livres, oui sûrement ! Pour le reste... je crois que ça me soulage en fait. Ce sont des envies, des univers que je porte en moi et de les écrire, je me sens plus léger.
Harmonia Amanda : Avez-vous des univers en tête que vous n'avez pas réussi à écrire, encore ?
Erik L'Homme : Oh j'en ai encore plein ! Mais si je ne les ai pas écrits pour l'instant c'est parce que je suis plutôt feignant ! Je ne suis pas un foudre de l'écriture, l'écriture ça demande un effort de volonté.
Harmonia Amanda : Vous avancez plusieurs projets en même temps ?
Erik L'Homme : Non, un seul.
Harmonia Amanda : Vous ne pensez pas à ce que vous ferez après cette série ?
Erik L'Homme : Je m'interdis d'y penser ! Sinon je me déconcentre et je perds la continuité.
Tsaag Valren : On entend souvent dire qu'écrire en littérature jeunesse c'est être moins reconnu et que les éditeurs donnent moins de droits d'auteurs. C'est vrai ?
Erik L'Homme : Oui, je pense que c'est vrai. Les auteurs jeunesse touchent moins que les auteurs adultes, je ne sais pas pourquoi. En pourcentage, c'est assez flagrant. Et la littérature jeunesse est également moins reconnue que la littérature adulte. Ça ce n'est pas le fait des éditeurs, je ne sais pas d'où ça vient. C'est-à-dire que en littérature générale la littérature jeunesse sera de la sous-littérature. En littérature de genre, comme la science-fiction ou la fantasy, le littérature jeunesse de science-fiction ou fantasy va être considérée comme un cran en dessous. Et ainsi de suite. On est toujours les « parents pauvres » de la notoriété.
Par contre, la petite vengeance malgré nous, les chiffres de vente sont généralement inversement proportionnels à l'opinion que l'on peut avoir de la littérature jeunesse. On vend beaucoup plus que les adultes.
Harmonia Amanda : La fantasy est souvent reléguée au secteur jeunesse même quand elle n'est pas du tout adressée à la jeunesse...
Erik L'Homme : Ça c'est un problème de formation des professionnels de bibliothèques, tout simplement. Je vois ça car en jeunesse on est amenés à faire beaucoup de rencontres scolaires, et la plupart du temps ce sont des invitations de documentalistes qui travaillent en CDI. C'est assez flagrant de voir qu'ils sont très dynamiques, qu'ils ont beaucoup de connaissances, les jeunes documentalistes. Les documentalistes fin de carrière sont souvent plus classiques et ont perdu le rapport avec tout ce qui a débarqué depuis quinze ans sur les rayonnages.
Harmonia Amanda : Et d'ailleurs vous pensez quoi de ce qui a débarqué depuis quinze ans sur les rayonnages ?
Erik L'Homme : Je pense qu'il y a beaucoup de bonnes choses et beaucoup de choses sans intérêt. Ce que je constate, c'est qu'il y en a plein ! Et c'est tout à fait récent, parce que quand je suis arrivé avec Le Livre des Étoiles il y a dix ans, il y avait très peu sur la table de la littérature jeunesse de genre. Il y avait extrêmement peu de séries, si on enlevait Harry Potter, la série de Philip Pullman, si on enlevait le premier Peggy Sue, les premiers Tom Cox et Le Livre des Étoiles, il ne restait pas grand chose.
Harmonia Amanda : C'est plutôt une bonne chose, que maintenant il y en ait plus ?
Erik L'Homme : C'est comme dans toute chose. Je crois que rien, jamais, n'est tout noir ou tout blanc. C'est l'histoire de la pièce qui a toujours deux côtés. Le bon côté c'est que du coup il peut y avoir plein de pépites là-dedans, le mauvais côté c'est qu'on est noyés là-dessous. Le principal problème maintenant n'est plus d'être édité, mais d'être visible. De bonnes choses peuvent passer inaperçues. Je pense que les très très bonnes choses ne passent pas inaperçues grâce au bouche-à-oreille, grâce aux forums, aux blogs, etc. Mais malgré tout... Pour en revenir aux droits d'auteur, on en pâtit aussi, parce qu'il y a beaucoup plus de livres qu'avant, donc les sollicitations d'achat sont plus importantes. C'est plus réparti.
Harmonia Amanda : Quand vous avez commencé vous étiez un des très rares, surtout en France. Cela n'a pas été trop dur de convaincre les éditeurs ?
Erik L'Homme : Eh bien au contraire ! C'était très facile. D'ailleurs j'ai été pris tout de suite par le seul éditeur à qui j'avais envoyé mon manuscrit, Gallimard Jeunesse, parce qu'ils ne recevaient rien en français. Et les représentants étaient extrêmement demandeurs de choses françaises. Je suis arrivé et voilà, tout de suite publié ! Ça a changé à une vitesse...