Philippines : un rapporteur de l'ONU impute à l'armée de nombreux cas d'exécutions extrajudiciaires

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Publié le 22 février 2007
Philip Alston, rapporteur spécial de l'ONU pour les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, a estimé, mercredi 21 février 2007, à l'issue d'une enquête de dix jours aux Philippines, que de nombreux cas de morts violentes irrésolues, parmi les activistes d'extrême-gauche, pourraient être imputés à l'armée.

Les constats du rapporteur

Carte des Philippines

Philip Alston était arrivé aux Philippines le 12 février dernier, à l'invitation du gouvernement, pour enquêter sur les accusations d'implication de l'armée dans les exécutions extrajudiciaires et disparitions d'activistes d'extrême-gauche.

Une association philippine de défense des droits de l'homme, Karapatan, estime ainsi que, depuis 2001, 832 exécutions extra-judiciaires seraient imputables aux forces armées régulières, dont 356 cas qui concerneraient des activistes d'extrême-gauche.

On estime par ailleurs que, depuis 1969, l'insurrection communiste aurait causé la mort de plus de 40 000 personnes tandis que, d'autre part, l'archipel est en proie depuis des années, essentiellement dans les îles du Sud, à d'autres guérillas d'inspiration islamiste et/ou séparatiste.

Après dix jours d'enquête, au cours desquels il dit avoir rencontré des membres de groupes d'extrême-gauche, des familles de victimes, des fonctionnaires et militaires de rangs divers, Philip Alston a donné une conférence de presse à Manille, mercredi 21 février, au cours de laquelle il a nettement mis en cause les forces armées philippines, tout en se disant incapable de fournir une estimation sur le nombre d'exécutions extrajudiciaires et de disparitions qui pourraient leur être imputées, se contentant d'indiquer que « beaucoup de ces éliminations » pourraient leur être attribuées. Le rapporteur spécial s'est toutefois dit persuadé qu'il n'y aurait pas, de la part des hautes autorités philippines, de politique délibérée visant à ces éliminations.

Mais il a mis en cause l'aveuglement du pouvoir exécutif et du Congrès philippin qui, selon lui, se seraient en quelque sorte « défaussé » de leurs responsabilités face à une situation qui leur échapperait.

Il a en outre déploré l'attitude de la hiérarchie militaire philippine qui, selon lui, aurait une attitude de dénégation totale des incriminations d'exécutions extrajudiciaires et de disparitions et appelé de ses vœux une intervention ferme de la présidence pour persuader l'armée que sa réputation et son efficacité seraient grandement améliorés en reconnaissant l'ampleur du problème et en cherchant les moyens de le résoudre.

Les réactions

La conférence de presse de Philip Alston est survenue dans un contexte où le pouvoir philippin se refusait pour le moment à rendre publiques les conclusions de la commission Melo, créée en août 2006 et qui était justement chargée d'enquêter sur les mêmes faits. En réponse à un appel en ce sens lancé mercredi par M. Alston, la présidence de la République s'est décidée à publier ces conclusions dès jeudi. Dans ce rapport de 86 pages, rédigé par Jose Melo, ancien juge à la Cour sûprême des Philippines, on apprend ainsi que les enquêteurs attribuent l'ensemble des crimes attribués à l'armée à un petit groupe de militaires et que la hiérarchie militaire ne serait probablement pas impliquée dans ces crimes.

Un porte-parole de la présidente Gloria Arroyo s'est contenté de souhaiter que M. Alston se montre « équilibré » et « loyal » lors de la rédaction de ses futurs rapport et recommandations, soulignant la difficulté qui, selon lui, serait celle d'une personnalité extérieure aux Philippines et peu au fait du contexte d'une insurrection communiste qui dure depuis 1969.

Devant l'ampleur qui scandale qui secoue la classe politique philippine, la présidente Gloria Arroyo s'est résolue à s'exprimer publiquement, jeudi 22 février, en faisant savoir qu'elle envisageait de manière « constructive » les premières conclusions de Philip Alston et entendait mettre un terme à cette vague d'exécutions extrajudiciaires dans le pays.

Un autre de ses porte-paroles, au moment de la publication du rapport de la commission Melo, a indiqué que le pouvoir exécutif entendait bien que tous les militaires qui pourraient être impliqués dans les exécutions extrajudiciaires répondent de leurs actes devant la justice.

On peut noter quelques mouvements d'humeur au sein de la classe politique et miltaire philippine, après la conférence de presse de Philip Alston. Le secrétaire à la Justice, Raul Gonzalez, s'est ainsi étonné que le rapporteur spécial de l'ONU passe sous silence les atrocités qui, selon lui, auraient été commises par la guérilla communiste, tandis que le chef d'état-major des armées, le général Hermogenes Esperon, estime que M. Alston n'aurait pas été « très enthousiaste » lorsque lui ont été soumis, au cours des entretiens qu'il a eu durant son séjour, les cas de 1 227 personnes qui auraient été victimes de liquidations perpétrées par les activistes communistes.

L'un des principaux quotidiens paraissant à Manille, The Philippine Star, conclut son éditorial de jeudi en estimant que « la seule façon de connaître la vérité est d'arrêter et de punir les meurtiers – tant les exécutants que les cerveaux – afin de mettre fin à ces éliminations » et accompagne cet éditorial d'une caricature dessinée montrant un Philip Alston de taille réduite, porteur d'une baguette de sourcier l'entraînant avec force vers la cheville d'un militaire dont on n'aperçoit que al chaussure de marche et le bas du pantalon de traillis, avec cette légende : UN PROBE ON POLITICAL KILLINGS (« preuves de l'ONU sur les éliminations politiques ».

Le rapporteur spécial

Philip Alston, de nationalité australienne, est un juriste international spécialisé dans les droits de l'homme et le droit des organisations internationales.

Parmi de nombreuses autres activités [1], il est professeur de droit, depuis 2001, à la faculté de droit (School of Law) de l'université de New York, où il dirige, au sein de l'Institut pour le droit international et la justice (Institute for International Law and Justice), le Centre pour les droits de l'homme et la justice globale (NYU Center for Human Rights and Global Justice).

Il a été nommé rapporteur spécial de l'ONU pour les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires le 13 juillet 2004 [2] par Mike Smith, président de la Commission des droits de l'homme des Nations unies. Il avait succédé dans cette fonction à Asma Jahangir.

La Commission des droits de l'homme était un organe de l'ONU, qui a existé de 1946 à 2006 et a été remplacé l'an dernier par le Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

Le rapporteur est un fonctionnaire international indépendant de n'importe quel gouvernement, dont la compétence s'étend au monde entier et qui doit soumettre ses observations dans deux rapports distincts : un rapport annuel présenté au Conseil des droits de l'homme (anciennement Commission des droits de l'homme) et un autre rapport, bisannuel, présenté à l'Assemblée générale de l'ONU.

Philip Alston est un « vieux routier » dans le domaine des droits de l'homme puisque, après avoir travaillé au sein du cabinet d'un ministre australien, en 1974 et 1975, il a travaillé durant six ans à Genève, de 1978 à 1984, au sein des organismes « onusiens » chérgés des droits de l'homme, avant de devenir pendant huit ans conseiller juridique de l'UNICEF.

Notes

Sources

Sources anglophones
Source francophone