France : la Cour des comptes taille en pièces l'action sécuritaire de Nicolas Sarkozy

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Entrée de la Cour des comptes

Publié le 8 juillet 2011
La Cour des comptes vient de jeter un pavé dans la mare. L'honorable institution vient de publier un rapport de 248 pages portant sur « L'organisation et la gestion des forces de sécurité publique. » Les magistrats ont examiné à la loupe la période 2002-2010, époque où Nicolas Sarkozy était ministre de l'Intérieur puis Président de la République. Ils ont vivement critiqué tant la gestion des effectifs que les résultats obtenus en matière de sécurité.

Des effectifs en coupes réglées

Ainsi, l'augmentation des effectifs décidée par le ministre Sarkozy a été effacée pour plus de la moitié au cours de l'année 2010… par le Président Sarkozy. « Les effectifs de policiers et gendarmes, après avoir fortement augmenté à la suite du vote de la loi d’orientation de la sécurité intérieure du 29 août 2002, dite LOPSI, ont ainsi commencé à décroître depuis 2009. En 2010, ils étaient moins nombreux qu’en 2006. Le nombre des policiers affectés dans les services de sécurité publique sera revenu en 2011 à son niveau de 2002.[1] » est-il écrit en conclusion générale du rapport.

La culture du résultat

Est aussi pointée du doigt, la politique faisant « prévaloir une gestion des services par objectifs chiffrés. » Sont toutes aussi critiquées, « l'opacité des statistiques et le traitement parfois fantaisiste des plaintes », note le journal Sud Ouest.

« La mise en œuvre de la « culture de résultat », instituée par l’instruction ministérielle du 24 octobre 2002 comme mode de fonctionnement quotidien des services de sécurité publique, a conduit à faire prévaloir une gestion des services par objectifs chiffrés[2] », annonce en préambule le rapport.

En outre, certains délits les plus graves n'étaient pas classés comme objectifs prioritaire comme ce fut le cas de la lutte contre le trafic de stupéfiant et ce, jusqu'en 2010.

Une baisse de la délinquance fortement contestée

La Cour des comptes a mis en doute la baisse de la délinquance avancée régulièrement par le ministère de l'intérieur. Certaines formes de délinquance sont pas ou peu prises compte. « la réalité du reflux des destructions et dégradations de biens privés doit être relativisée » estime la Cour. Ainsi, « une partie croissante des actes de vandalisme se serait traduite non par le dépôt d’une plainte par les victimes, mais par l’enregistrement d’une simple contravention non comptabilisée dans l’état 4001[3] »[4]

Les atteintes à l’intégrité physique des personnes ont augmenté de 20 % pour la période 2002-2009. Selon la Cour : « Les atteintes à l’intégrité physique des personnes (AVIP) ont connu une hausse de 20 %, soit 44 000 faits supplémentaires, due aux violences physiques non crapuleuses telles que les coups et blessures volontaires en augmentation de 51 %, les menaces ou chantages dans d’autres buts que l’extorsion de fonds, les atteintes à la dignité et les violences intrafamiliales. »

Est tout aussi pointée du doigt, le mode d'enregistrement de ces plaintes : « Selon la qualité de la victime ou la nature des faits, ces dernières sont enregistrées par les services de police sous une quinzaine d’index statistiques qui ne leur sont pas réservés si bien que, du fait des nomenclatures de l’état 4001, il est impossible de mesurer, à partir de cet état, la part, dans la progression sensible des AVIP, des comportements violents au sein de la sphère familiale. »[5]

Autre constat alarmant, « dans la catégorie des escroqueries et infractions économiques et financières (EIEF), les escroqueries et abus de confiance ont augmenté de 65 % en raison notamment de la montée des fraudes commises sur internet. » Faits d'autant plus choquants : « En fait, en 2009, seule la stabilisation des EIEF, en progression continue depuis 2005, a permis d’éviter la reprise à la hausse de la délinquance générale. Cette évolution statistique favorable s’explique principalement par la propension des services de police (et de gendarmerie), en application des directives écrites de leurs parquets respectifs, à s’abstenir en 2009 d’enregistrer les plaintes des victimes d’escroqueries commises par l'utilisation frauduleuse de cartes bancaires à distance, au motif que les banques, qui prennent en charge le préjudice financier, étaient les seules victimes de ces infractions ». Le refus d'enregistrer ces plaintes ont amené le directeur des affaires a rappeler à l'ordre les procureurs généraux près des cours d'appel. Un tel refus viole l'article 15-3 du code de procédure pénale et « porte atteinte à la libre appréciation par les parquets de l'opportunité des poursuites. »[6]

La vidéosurveillance vertement critiquée

Mais les critiques ne s'arrêtent pas là : la vidéosurveillance, présentée comme la panacée, est jugée coûteuse et répartie inégalement sur le territoire.« L’estimation de 20 000 caméras de voie publique en 2008, sur laquelle l’objectif de triplement a été fondé, était approximative. Le ministère de l’intérieur ne procède pas à une évaluation globale et fiable du nombre de caméras de vidéosurveillance installées sur la voie publique. » lit-on en page 126 du rapport. Sur la vérification de leur conformité, le rapport se montre très sévère : « La commission départementale de la vidéoprotection, présidée par un magistrat, se borne à vérifier que les engagements écrits, pris par le pétitionnaire, sont conformes à la réglementation. Elle ne se rend jamais sur place. De fait, elle n’a aucune marge d’appréciation et son rôle est exclusivement formel : elle s’assure que le formulaire de demande est correctement rempli et que les pièces exigées sont jointes. »[7] Cette même commission « ne se prononce pas sur le bien-fondé du recours à la vidéosurveillance au regard des risques en matière de sécurité publique. » Et d'ajouter « Les avis négatifs sont exceptionnels. »

Les critiques deviennent plus vives sur les personnels chargés de visionner les enregistrements, sans compter les infractions à la loi. La Cour cite l'exemple de la commune de Cluses qui obtint une autorisation préfectorale indiquant « M. le Maire de Cluses est responsable de la mise en œuvre du système de vidéosurveillance » »[8] Or, le maire a chargé une société privée de sécurité, désignée sur appel d’offres, pour visionner les écrans, violant ainsi la loi, « ce que le préfet ne pouvait ignorer lors de la demande d’autorisation »[9] ajoutent les magistrats. Un tel visionnement a été censuré par le Conseil constitutionnel le 10 mars 2011 qui a déclaré contraire à la Constitution une disposition législative prévoyant celui-ci par des personnes privées.

D'autres problèmes surgissent en ce qui concerne le manque d'assermentation des agents. Certains ne le sont que pour le stationnement mais pas pour la sécurité publique. « Pour autant, les risques de dérives dans l’utilisation des systèmes de vidéosurveillance sont réels, notamment en matière de respect de la vie privée »[10], précise le rapport. « Les systèmes de vidéosurveillance sont programmables pour « flouter » ou masquer automatiquement les entrées et les fenêtres des immeubles privés, mais ce dispositif ne peut être systématique, sauf à retirer toute efficacité au visionnage de la voie publique. Son paramétrage peut être modifié. Certains personnels peuvent avoir accès aux codes »[11] relève la Cour.

Mais la Cour ne s'en arrête pas là. Elle critique une formation professionnelle insuffisante. « Peu d’organismes agréés proposent des formations en vidéosurveillance. »[12] Celles-ci sont principalement assurée par l'installateur du matériel indiquant le fonctionnement de celui-ci. Elle se cantonne aussi à un rappel des règles déontologique sur cette activité.

Quant aux contrôles a posteriori, les commissions prévues ne peuvent exercer ceux-ci par manque de moyens matériels et humains.

Le projet de Nicolas Sarkozy de tripler le nombre de caméra de 20 000 à 60 000, occasionnera un coût supplémentaire de 300 millions d'euros par an. Le coût annuel d'exploitation d'une caméra est estimée par la Cour à 7 400 €[13]. Les frais d'investissement, en rapportant le coût total cumulé des études, de l’installation, du raccordement, se montent à 36 600 € par caméra à Villefranche-sur-Saône[14].

Sur l'efficacité d'un tel système, il dépend surtout des forces de police sur place. « En conséquence, il aurait été souhaitable, notamment du fait de l’importance des sommes en jeu, qu’une évaluation de l’efficacité de la vidéosurveillance accompagne, sinon précède, la mise en œuvre, de ce plan de développement accéléré. »[15]

Réactions politiques

La publication du rapport a été vivement critiquée dans les rangs de l'UMP. Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, a estimé que ce rapport contient « un nombre important d'inexactitudes, d'erreurs d'analyse, d'oublis et d'appréciations manquant parfois d'objectivité. » Jean-François Copé, président de l'UMP, le qualifie d'idéologique. Dans un communiqué de presse, Éric Ciotti, député UMP, dénonce « une étude remplie d'erreurs factuelles et d'a priori idéologiques. » « La Cour des comptes est une juridiction financière se devant d'être indépendante à l'égard du pouvoir, mais aussi à l'égard de l'opposition. Elle a une mission d'évaluation des politiques publiques en termes de légalité mais pas en opportunité. Or, les principaux rédacteurs sont des membres proches de l'opposition, siégeant ou ayant siégé au sein des instances dirigeantes du PS » a-t-il rappelé. Il a dénoncé, en outre, « une politisation de plus en plus prononcée de la Cour des Comptes qui risque de conduire à des dérives dommageables en termes de crédibilité de l'Institution : Il ne faudrait pas que les rapports de la Cour des Comptes deviennent des plaidoyers à des fins militantes. »

En revanche, le Front national jubile. Selon sa présidente, Marine Le Pen, « ce rapport confirme en effet les analyses inquiètes du Front National et des syndicats de policiers : forte réduction des effectifs des forces de l’ordre depuis 2005, mauvaise répartition de ces forces sur les territoires, désengagement de l’Etat au profit des polices municipales, et au mépris de l’égalité entre les Français. » Fort de ce rapport, elle demande le « rétablissement des effectifs de policiers et gendarmes, réengagement de l’Etat sur l’ensemble du territoire, application partout de la tolérance zéro, pour rompre avec le laxisme généralisé. »

Le même ton se retrouve au Parti socialiste. Harlem Désir, secrétaire général, s'est fendu d'un communiqué selon lequel : « La Cour des Comptes vient, dans un rapport, de mettre en lumière la contradiction flagrante qui existe entre les discours gouvernementaux et la réalité de la baisse des moyens de sécurité dans notre pays. Cette réalité est claire : le Gouvernement a désarmé les forces de sécurité publique. Les effectifs ont été réduits dans la police et dans la gendarmerie. Les violences aux personnes ont augmenté de 20% de 2002 à 2009. Afin d'obtenir des chiffres moins accablants, des directives ont été adressées aux services de police et de gendarmerie pour ne pas enregistrer certaines plaintes. » Il ajoute en substance : « Les attaques de M. Guéant contre la Cour des Comptes, institution indépendante et respectée, montre que la droite n'accepte pas de voir son bilan désastreux révélé et sa politique évaluée. Pourtant, ce n'est pas en cassant le thermomètre qu'on fait tomber la fièvre. » « Au lieu d'attaquer une institution de la République, M. Guéant et les députés UMP feraient mieux de s'attaquer à l'insécurité » a-t-il conclu en substance.

Notes

À lire

Sources


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