France : un cadre supérieur de La Poste met fin à ses jours

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Publié le 19 février 2008
Un cadre supérieur de la Poste, âgé de 49 ans, le directeur de la sûreté des bureaux de La Poste en Charente-Maritime, s'est donné la mort le 15 janvier 2008. L'affaire a été révélée par le journal « Le Parisien – Aujourd'hui en France » vendredi dernier. Dans un courrier, il explique son geste : « Je vous écris cette lettre pour vous informer que mon suicide est en totalité dû à La Poste. Depuis 2006, je n'ai pas pris de congé, si ce n'est le vendredi pour travailler chez moi (y compris le samedi et souvent le dimanche !!) »

L'affaire serait passée inaperçue si le frère jumeau de la victime n'avait pas alerté la presse après avoir envoyé la lettre en question au président de La Poste. Ce dernier a reçu la missive mercredi dernier.

Selon les premiers éléments d'information, il avait appris, en 2007, l'existence d'un vaste plan de réorganisation consistant en la fusion de la direction départementale « Grand-Public » de la Charente-Maritime avec celle des Deux-Sèvres. La veille de son décès, il avait été informé, lors d'un entretien avec son supérieur, que sa candidature pour un poste de directeur, au sein de cette nouvelle entité, n'avait pas été retenue, son collègue de Niort ayant été préféré.

Selon son frère, les effectifs au sein de la direction de La Rochelle, étaient déjà passés de 110 cadres à 10 pour la seule année 2006 et le défunt espérait décrocher la place compte tenu de son ancienneté[1]. C'est à la suite de cette désillusion qu'il s'est donné la mort. « Au téléphone, mon frère me répétait : “C'est la honte pour moi” » a confié son jumeau au « Parisien ».

L'affaire fait grand bruit dans les milieux de la presse écrite ou électronique. La presse luxembourgeoise, belge ou suisse se sont aussi saisies de l'affaire.

Pas plus de suicides dans le temps, selon La Poste

La direction nationale de La Poste a indiqué qu'elle souhaitait répondre d'abord à la famille. Selon l'AFP, « La directrice prévention, santé et sécurité au travail de La Poste, Brigitte Bancel Cabiac, a précisé que le groupe avait plutôt opté pour un dispositif d'évaluation et de suivi du stress professionnel via les 153 médecins du travail, qui devrait être mis en place courant 2008 ». L'intéressée a ajouté devant la presse que « Dès 1998-1999, La Poste a réfléchi au stress au travail, avec d'abord des actions envers les postiers agressés, puis en 2001 envers les agents confrontés aux incivilités (…) Le stress est un élément de plus en plus important, à La Poste comme dans l'ensemble de la société » pour relever enfin qu'il n'existe « pas davantage de suicides » d'agents dans le temps[2].

Sur la demande de La Poste, le cabinet Stimulus a effectué une étude parue en décembre. Selon ce cabinet, deux agents sur trois de La Poste sont en situation de stress, dont un tiers en « hyper stress ». Les chefs d'établissement et les conseillers financiers sont frappés de plein fouet par ce phénomène. Les principales causes seraient « la relation aux clients et les changements de type organisationel », explique l'AFP.

On reçoit des gens en larmes, expliquent les syndicats

Au niveau des organisations syndicales, l'appréciation de la situation est diamétralement opposée par rapport à celle de l'pérateur public. Le syndicat CGT de la Charente-maritime, Philippe Duban a notamment déclaré que ce cadre avait mal vécu sa mise à l'écart. « C’est un homme qui travaillait bien, consciencieux. Il s’est senti un peu mis sur la touche et a mal vécu cela (…) Je pense sincèrement que c’est en grande partie à cause de cela ». Il a reconnu que le défunt rencontrait des difficultés personnelles depuis deux ans.

« On reçoit maintenant dans nos permanences des gens en larmes. La situation est très préoccupante », ajoute un autre responsable cégétiste.

« Le suicide d'un cadre de La Poste, expliquant son geste par l'attitude de la direction de l'entreprise publique, est choquant, mais hélas, ne surprend pas », estime, de son côté SUD-PTT. Il ajoute : « À force de conduire à marche forcée la restructuration du réseau, un drame devait finir par arriver. Depuis 2005, près de 8 000 postes de chef d'établissement sur 12 500 ont été supprimés. Si certains ont pu se récupérer en partant de façon anticipée à la retraite, d'autres l'ont très mal vécu. Certains se retrouvent même aujourd'hui à travailler au guichet ». Le syndicat ajoute : « Nous prévoyons la convocation d'un CHSCT[3] pour demander à la direction de prendre ses responsabilités. A la demande de la famille, nous allons chercher à faire reconnaître ce suicide comme un accident du travail ». Au syndicat SUD-PTT de pointer du doigt, « les objectifs commerciaux démesurés », ainsi que le « management par le stress ». Il conclut : « , un accord signé fin 2005 avec les syndicats prévoyait la création d'un observatoire du stress qui n'a toujours pas vu le jour ».

Sur son site, la centrale syndicale enfonce le clou : « Face à cette situation, la direction ne cesse de minimiser les faits, arguant au mieux de dérapages de managers locaux. Mais devant l’évidence, elle a été contrainte, dès 2005, d’annoncer la création d’un observatoire du stress. En 2008, celui-ci n’a toujours pas vu le jour. Trois études, réalisées par les médecins de préventions, les assistantes sociales et un cabinet externe, démontrent tout de même l’ampleur du problème. Malheureusement, elles ne se sont concrétisées par aucune action de la part de la direction qui n’a de cesse de les minimiser. »

Des personnels en mal de restructurations

Il n'est pas rare que des cadres professionnels, anciens chefs d'établissements, soient reversés dans les EAR[4]. Appelés, en principe, à remplacer les chef d'établissements, ils peuvent « occasionnellement » faire des remplacements au guichet. Or, il n'est pas rare que ces remplacements « occasionnels » occupent, en fait, la plupart de leurs activités professionnelles.

Un psychiatre s'explique

Interrogé par la rédaction du Post, le Professeur Patrick Légeron, médecin psychiatre, a donné plusieurs explication après une étude sur le stress à La Poste l'an dernier. Il indique « Il est clair que le niveau de l'hyperstress est plus élevé à La Poste qu'ailleurs. Il s'élève à plus de 33% à La Poste, alors que la moyenne européenne tourne autour de 25% ». Selon le praticien, l'hyperstress consiste en un « stress fort, celui qui dépasse le stress "normal ». Les femmes seraient plus sujètes à cette affection : « L'augmentation importante des agressions d'agents et des actes d'incivilités envers le personnel jouent aussi un rôle important. De plus, la croissance de la pression pour atteindre les objectifs et les résultats a aussi sa part. Depuis quelques temps, La Poste est entrée dans une logique différente, et ce grand changement, cette nouvelle culture de performance implique une mise sous tension beaucoup plus élevée ».

Il ajoute, « La vraie problématique aujourd'hui, c'est le manque de dialogue social et la solitude (…) Si un salarié subit un stress croissant et n'est pas accompagné, cela peut être dangereux ».

Notes

Sources