Dossier:Neda Agha-Soltan, une icône des manifestations consécutives à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad

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Neda Agha-Soltan, une icône des manifestations consécutives à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad

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Publié le 3 juillet 2009
Neda Agha-Soltan ou Neda Soltani (ندا آقا سلطان - Nedā Āġā-Sulṭān; née en 1982 - morte le 20 juin 2009) est une jeune femme iranienne tuée par balle au cours d'une des manifestations de protestation qui ont suivi l'élection présidentielle contestée iranienne de 2009. Un membre de la milice paramilitaire Bassidji est probablement à l'origine du tir mortel. Son agonie en pleine rue a été filmée par des personnes présentes autour d'elle dans la manifestation. La vidéo, encore non authentifiée, rapidement postée sur Internet a été largement diffusée sur les sites de vidéos en ligne et reprise par la plupart des réseaux sociaux d'Internet. Neda est dès lors devenue la figure emblématique des manifestants à travers le monde entier donnant un visage et un nom aux victimes, qui, selon la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, se comptent par milliers (des dizaines de morts, des centaines de blessés, et plus de deux mille prisonniers), parmi les opposants au régime de Ali Khamenei et à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad.

Biographie

Neda Agha-Soltan est née dans une famille modeste de Téhéran, d'un père fonctionnaire et d'une mère femme au foyer. Deuxième de trois enfants, elle grandit avec ses frères dans une atmosphère attachée aux valeurs traditionnelles. Elle étudie la philosophie générale et islamique à l'Université d'Azad. Puis, elle se réoriente dans le domaine du tourisme. Passionnée de découvertes, elle suit des cours privés, y compris des cours de langue turque et de musique, chantant et jouant au piano de la musique pop iranienne, et participe à des voyages à l'étranger. Elle visite notamment Dubai, la Thaïlande et la Turquie, où elle a séjourné deux mois avant son décès.

Récemment fiancée au photo-reporter Caspian Makan, 37 ans[1], Neda travaillait à temps partiel dans une agence de voyages familiale. Une photographie rendue publique peu après sa mort à l'âge de 26 ans, et ayant fait le tour du monde, témoigne d'un visage aux traits fins et élégants, qui semble être demeuré calme lors du drame. À l'instar de nombreuses femmes iraniennes souvent à l'avant-garde[2] de ce mouvement d'émancipation, Neda, soucieuse de justice plutôt que politisée, s'était investie dans la « Vague verte » des manifestations nées de la contestation du scrutin ayant proclamé la défaite du candidat Mir Hossein Moussavi aux élections présidentielles de 2009, sur lesquelles ont été portées des accusations de fraude massive[3]. Consciente du danger régnant à Téhéran ce jour là mais déterminée à l'affronter, « Neda voulait seulement la liberté, la liberté pour tous » a affirmé l'un de ses proches[4].

En farsi, Nedā signifie « voix » ou « appel ». Pour cette raison, Neda Soltani a été surnommée la « Voix de l'Iran », ou l' « Ange de l'Iran » , son prénom devenant après son décès un cri de rassemblement « au nom de la liberté ». « Neda Soltani représente à la fois l'engagement des femmes dans la révolte en cours, mais aussi toute la jeunesse d'un pays dont près des deux tiers des habitants ont moins de 30 ans ; elle symbolise, enfin, une révolution dont on est informés par les réseaux sociaux et autres outils de partage utilisés par les Iraniens »[5].

Circonstances de la mort

Un message anonyme sur Twitter indique que Neda se trouvait sur l'avenue Karegar en compagnie de son père (en fait, il s'agissait de son professeur de piano, Hamid Panahi), et de plusieurs de ses camarades, à Téhéran, quand, sortant de voiture, elle aurait été prise pour cible délibérée, mais sans mobile explicite autre que sa présence, par un tir attribué (en dépit des papiers d'identité qui auraient été confisqués par les manifestants à un présumé tireur avant sa fuite[6], les preuves formelles seront des plus difficiles à établir[7]) à la milice Bassidji, constituée d'hommes armés en civil et destinée à la répression intérieure. Une vidéo amateur non datée des derniers instants de la vie de Neda fut alors mise en ligne sur Facebook et YouTube, et se diffusa rapidement sur Internet. Les vidéos étaient accompagnées de ces lignes, par la suite attribués au docteur Arash Hejazi[8] (un témoin contre lequel les autorités iraniennes ont lancé, le 1 juillet 2009, un mandat d'arrêt international[9]), décrivant les circonstances de la mort :

"À 19 h 05 le 20 juin, sur l'avenue Karegar, au carrefour entre les rues Khosravi et Salehi. Une jeune femme qui marchait au côté de son père et regardait la manifestation fut tuée, apparemment par un membre Bassidji caché sur le toit d'une maison. Il avait une vue dégagée et ne pouvait pas la manquer. Cependant, il visa directement au cœur. Je suis docteur et je me suis précipité pour essayer de la sauver. Mais l'impact de la balle était si intense que la balle avait explosé dans sa poitrine, et elle mourut en moins de deux minutes. Les manifestations étaient à environ un kilomètre dans une rue voisine et une partie de la foule courait en direction de la rue Salehi, à cause des gaz envoyés contre eux. La vidéo a été enregistrée par un ami qui était à mes côtés. Je vous en prie, faites en sorte que le monde le sache."

Son décès a été formellement reconnu lors de son transfert à l'hôpital Shariati[10]. Après une dizaine de jours, une enquête officielle (privilégiant, selon les déclarations du chef de la police iranienne Ismail Ahmadi Moghaddam, l'hypothèse d'« une manipulation » qui aurait été ourdie depuis l'étranger[11]), a été ouverte par les autorités judiciaires iraniennes[12].

Vidéos : leur rapide diffusion mondiale

Les journalistes étant, depuis le début des troubles en Iran, soumis à la censure avec interdiction de couvrir toutes manifestations non-autorisées, l'information sur celles-ci est exclusivement due aux citoyens. Il existe néanmoins, apparemment, trois vidéos témoignant - de manière crue voire insoutenable[13] - des conditions de la mort de Neda Agha-Soltan. La première montre Neda s'effondrant sur le sol, apparemment toujours consciente. La seconde la montre alors qu'elle perd conscience et commence à saigner abondamment.

La première vidéo semble avoir été enregistrée à l'aide d'un téléphone portable.[14] Le caméraman approche un groupe de personnes. Alors qu'il s'approche, Neda s'effondre, une marre de sang à ses pieds. Deux hommes essayent de la ranimer. Les secondes passent, ses yeux tournent, elle semble perdre conscience. Des cris sont entendus alors que le sang sort de son nez et de sa bouche.

C'est à ce moment-là que la seconde vidéo commence.[15] Le cameraman s'approche de Neda et des deux hommes. Dans la première vidéo, le premier homme peut être entendu appeler Neda par son nom :

« Neda, n'aie pas peur. Neda, n'aie pas peur. [phrases couvertes par les cris] Neda, ma chérie, reste avec moi. Neda reste avec moi ! »

Une troisième vidéo[16]semble montrer Neda accompagnée d'une personne plus âgée qu'elle, qui est sans doute son professeur de musique [17].

"Elle n’a rien dit, mais lorsqu’elle s’écroule, son regard croise la caméra, son visage foudroyé par l’absence : une rupture, une déchirure, et les yeux de Neda nous disent « je meurs ».[18]"

Illustration de la violence aveugle, et illustration de la violence faite aux femmes, les vidéos de l'agonie de Neda ont été largement diffusées sur Internet en quelques heures et ont été vues par des centaines de milliers d'internautes avant d'être reprises par les médias.

L'écrivain brésilien Paulo Coelho va contribuer à authentifier l'une des vidéos sur son blog. « Lorsqu'il a vu, comme des millions d'autres, la vidéo de la mort de Neda, voici ce qu'il a écrit : "Mon meilleur ami en Iran, un médecin qui m'a montré sa culture magnifique quand j'ai visité Téhéran en 2000, qui a fait la guerre au nom de la République Islamique contre l'Irak, qui a pris soin des soldats blessés au front, qui s'est toujours tenu aux vraies valeurs humaines, est celui que l'on voit sur cette vidéo en train d'essayer de ressusciter Neda, touchée en plein coeur." C'est l'ami médecin de Paulo Coelho qui dit à la jeune femme "Neda, reste avec nous !" alors qu'elle répond "je brûle, je brûle". Et qu'elle meurt.[19]» Il décide à son tour de faire circuler la vidéo. Par ailleurs, le site du journal britannique The Guardian fait état d'un Iranien vivant aux Pays-Bas qui aurait reçu le jour même par courriel la vidéo d'un de ses amis qui participait à la manifestation au cours de laquelle Neda a trouvé la mort.

En fin de journée, celle-ci était diffusée sur Facebook et YouTube, avant d'être reprise de toutes parts sur le web. Les hommages, alors, se multiplient sur la base de photos ou de séquences vidéo en faisant de la jeune fille une icône de la contestation dépassant de loin sa propre personne.

Un symbole de la liberté en Iran et à l'étranger

Le jour même, les discussions au sujet de Neda sur Twitter devinrent un trending topic (sujet tendance). L'authenticité des vidéos, le lieu de l'incident, l'identité du tueur n'ont pas pu être immédiatement confirmés par des journalistes indépendants. Dans les médias iraniens, il n'a pas été fait état de sa mort à l'inverse des médias internationaux comme CNN floutant tout d'abord son visage par respect pour elle, puis décidant finalement de diffuser la vidéo originale non censurée. Après son identification[20], les médias du monde occidental (BBC[21], CBS News[22], Time Magazine, New York Times, Daily News[23], Corriere della Sera, La Repubblica[24], La Vanguardia[25], Correio da Manhã[26], Der Spiegel, Stern[27], Le Monde, Le Figaro, LCI[28], etc.) ainsi qu'Al Jazeera[29] ont ensuite repris l'information, et peu à peu apporté des détails sur la jeune femme. Les photos sanglantes de Neda se sont aussi affichées sur presque toutes les "unes" des quotidiens arabes[30] (Al-Ahram en Egypte, Al-Charq Al-Awsat en Arabie Saoudite, Al-Mustaqbal et Al-Saphir au Liban, etc) ainsi qu'en Turquie (Milliyet[31]).

Une manifestation à Téhéran, le 22 juin, sur la place Hafte Tir, s'est voulue un hommage à Neda et aux morts des manifestations de la semaine écoulée. Le second candidat de l'opposition, Mehdi Karroubi, a lancé un appel à manifester en son souvenir sur Facebook. Plusieurs rassemblements à sa mémoire ont eu lieu dans le monde, notamment à San Francisco, à Los Angeles, à Istamboul et à Paris. Sur les pancartes, aux côtés de la photographie de Neda défigurée par son sang, ce slogan : « This is islamic democracy » (Ceci est la démocratie islamique)[32]. Il a été suggéré de rebaptiser l'avenue où elle a été tuée en lui attribuant son nom. Reza Pahlavi, le fils de l'ancien Shah d'Iran, a déclaré considérer désormais Neda comme l'une de ses filles. Aux États-Unis, le sénateur John McCain lui a rendu hommage « en son nom et au nom de son pays » de manière solennelle. Le 23 juin, le président Barack Obama, qui s'est dit « choqué et outré », a fait allusion à Neda Agha-Soltan, en déclarant : « nous avons vu des femmes courageuses faire face à la brutalité et aux coups et été confrontés aux images d'une femme blessée à mort dans les rues de Téhéran ». Dès lors, « l’envie de changement d’une partie de la population iranienne se personnifie et transcende un destin individuel[33] ».

Neda, parce que le visage de sa mort a été diffusé très vite aux yeux du monde et parce que son prénom a pu devenir un signe de ralliement pour les manifestants iraniens épris de liberté, souligne aussi l'accession d'Internet au rang de média international. La mort de Neda est celle qui a permis de voir et surtout de « faire voir »[34] la répression politique en Iran en obéissant aux règles de l'iconologie. L'image médiatique ne pouvant « montrer que des individus particuliers dans des contextes particuliers » (Régis Debray) a, par son nominalisme, pu faire jouer à plein son « effet de visuel »[35] comme "agrégateur d'attention" (Susan Sontag)[36].

The Guardian affirme d'ailleurs que « la rapidité avec laquelle cette histoire a fait le tour du monde pourrait représenter une des pires menaces envers le régime iranien en trente ans.» « La mort de Neda […] permet de synthétiser en un seul événement le complexe mouvement de protestation iranien »[37]. « Neda Agha-Soltani sera probablement à jamais l'ultime symbole » de la révolte iranienne de 2009.[38]

Ainsi, le portrait ensanglanté de Neda paraît devoir rejoindre les images-choc des victimes de conflits ou d'insurrections dans l'histoire récente, parmi lesquelles celles « des soldats américains capturés au Japon à Iwo Jima en 1945, de l'enfant courant sous une bombe au napalm lors de la guerre du Vietnam en 1972, ou de l'étudiant seul face à un char place Tienanmen en 1989 »[39].

Le deuil comme moteur de protestation et ses perspectives

Les autorités iraniennes n'auraient rendu la dépouille de leur fille à ses parents qu'à la condition qu’ils l’enterrent rapidement et sans faire de bruit, renonçant le lundi 22 juin à une cérémonie à la mosquée Niloufar. La jeune femme a été inhumée au cimetière de Behesht-e Zahra.

Le Time Magazine a émis l'hypothèse que « quelles qu'en soient les circonstances exactes, sa mort pourrait tout changer. Les cycles du deuil dans l'islam chiite pourraient nourrir l'agenda du combat politique ». Robin Wright estime que la mort de Neda pourrait amorcer les cycles observés durant la révolution islamique et qui ont mené à la destitution du Shah.

Les chiites|, majoritaires en Iran, observent en effet une période de deuil incluant des rassemblements trois, puis sept puis quarante jours (Arbaïn) après la mort de la personne, particulièrement si elle devait être considérée comme martyre - un aspect très important de cette foi[40]. Ceux-ci pourraient alors servir d'occasion de regroupement aux manifestants et contribuer, ainsi, à entretenir l'expression publique de leur protestation|. Les autorités, pour stopper la martyrologie de Neda, interdisent à la famille d'afficher des images de leur fille ou un simple drapeau noir à l'orée de leur appartement, qu'ils auraient même été contraints de quitter sous la pression policière[41]. Toutefois, des images de Neda sont apparues partout dans Téhéran. Toujours avec le même objectif d'enrayer la martyrologie de Neda, les mosquées de Téhéran auraient reçu l’interdiction expresse d'appeler à des prières collectives en son nom.

Certes, rien n'est moins sûr que le succès de cette mobilisation populaire| devant relever le défi de la peur ; car, ce qu'a révélée avant tout au monde entier la mort de Neda Agha-Soltan, c'est que, pour se perpétuer, le pouvoir iranien doit reposer désormais sur la violence et la mort. « Il fallait transformer, relève Fahrad Khosrokhavar, le régime oligarchique, qui présentait une dimension démocratique susceptible de le déstabiliser, en un régime autocratique qui soumettrait le corps social à une version fermée de l'islam. Dans cette version autocratique de la théocratie, le détenteur du pouvoir règne sans partage sur une société asservie au nom du religieux. La dimension "républicaine|" devient un prétexte pour assurer la perpétuité du "gouvernement islamique" sous l'égide du Guide suprême […]. Mais le mouvement, même réprimé et affaibli, perdurera et le régime n'en sortira pas indemne.[42] »

Notes

Voir aussi


Liens externes

Sources


  • Page Iran de Wikinews Page « Iran » de Wikinews. L'actualité iranienne dans le monde.