Guinée : le président Lansana Conté semble céder aux pressions des syndicats et de la rue

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Localisation de la Guinée

Publié le 26 février 2007
Lansana Conté, président de la République de Guinée, semble avoir cédé aux pressions des syndicats et de la rue guinéens, mais aussi de ses partenaires de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), en acceptant de se séparer du Premier ministre nommé le 9 février dernier et de nommer, d'ici au 2 mars, un remplaçant choisi sur une liste de cinq noms proposée par les leaders syndicaux en concertation avec les représentants de la société civile.

L'arrière-plan politique

Le président Lansana Conté, aujourd'hui âgé de 72 ans, avait pris le pouvoir à l'occasion d'un coup d'État militaire en 1984, une semaine après le décès du « père de l'indépendance guinéenne », Ahmed Sékou Touré. Il s'était soumis, bon gré mal gré, au suffrage des urnes en 1993, 1998 et 2003, certains de ces scrutins ayant d'ailleurs été critiqués pour leur « manque de transparence ».

Le 5 avril 2006, il démettait de ses fonctions, pour « faute grave », le Premier ministre Cellou Dalein Diallo [1] et s'abstenait de le remplacer dans ses fonctions [2]

Le fil des événements

Carte de la Guinée

Le 10 janvier, les syndicats, soutenus par le Conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSCG), décrétaient une grève générale et réclamaient la démission du président Lansana Conté.

Le 22 janvier, plusieurs dizaines de personnes étaient tuées par l'armée au cours d'affrontements dans les rues de plusieurs villes guinéennes.

Le 27 janvier, au 18e jour de la grève générale, à l'issue de tractations entre la présidence de la République et les syndicats, ceux-ci avaient accepté de suspendre leur mouvement, après l'engagement pris par le président de nommer un « homme de consensus » à la tête du gouvernement. L'accord prévoyait en outre la dévolution à ce nouveau Premier ministre de pouvoirs étendus pour une période transitoire de trois ans, au cours de laquelle seraient organisées des élections législatives et présidentielle.

Le 9 février, Lansana Conté nommait au poste de Premier ministre Eugène Camara, auparavant ministre d'État, chargé des Affaires présidentielles, ce qui était aussitôt perçu comme une provocation au sein des syndicats, M. Camara étant considéré comme un proche parmi les proches du président contesté. Le soir même, le Conseil national des organisations de la société civile guinéenne (CNOSCG) invitait « les citoyens à se mobiliser aujourd'hui plus qu'avant pour continuer à réclamer le changement » et apportait son soutien à la relance de la grève générale lancé par l'intersyndicale [3].

Le 10 février, de nouvelles violences éclataient dans divers endroits de la Guinée, à l'occasion de manifestations populaires, et causaient la mort d'au moins 9 personnes, tandis que plusieurs dizaines étaient blessées [4].Le 12 février, le gouvernement guinéen avait décrété l'état de siège.

Vendredi 23 février, les députés siégeant à l'Assemblée nationale (le parlement monocaméral guinéen) avaient infligé une sévère rebuffade au président Conté, en rejetant à l'unanimité [5] sa demande de prorogation de l'état de siège.

Les pressions de la CEDEAO

Carte des États membre de la CEDEAO

La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), dont la Guinée fait partie, avec 14 autres pays de la région [6], a envoyé deux émissaires à Conakry, en les personnes d'Ibrahim Babangida, ancien président de la République du Nigeria, et de Mohammed Ibn Chambas, président de la Commission de la CEDEAO.

Les deux hommes, qui avaient déjà séjourné brièvement le 17 février dans la capitale guinéenne pour une première prise de contact avec les acteurs de la crise, étaient arrivés à Conakry jeudi 22 février et, durant les deux jours de leur mission, qui devait initialement s'achever samedi 24 février, avaient rencontré le président Lansana Conté et divers membres du gouvernement, ainsi qu'un certain nombre de leaders syndicaux. Leur objectif était de ramener à la table des négociations les dirigeants syndicaux, qui refusaient d'y revenir tant que l'état de siège ne serait pas levé par le pouvoir.

Dimanche 25 février, l'ancien président nigérian rencontrait la presse à Conakry, pour lui annoncer que le président Lansana Conté s'était engagé , samedi soir, à trouver un terrain d'entente avec les syndicats et à nommer, d'ici au 2 mars, un nouveau Premier ministre répondant aux exigences de l'accord du 27 janvier, en le choisissant parmi une liste de cinq noms élaborée par les dirigeants de l'intersyndicale, en concertation avec les représentants de la société civile et des principales formations politiques.

En outre, deux des chefs d'État de la CEDEAO, la libérienne Ellen Johnson Sirleaf et le sierraléonais Ahmad Tejan Kabbah, avaient fait une visite express à Conakry dans la journée du mercreddi 21 février, pour s'entretenir avec le président Lansana Conté et le presser de se mettre à l'écoute de la société civile, des syndicats et des chefs religieux pour trouver une issue à la crise.

Autres pressions internationales

La Commission des droits de l'homme des Nations unies avait aussi dépêché sur place deux émissaires, jeudi 22 février, et ceux-ci avaient rencontré le ministre des Affaires étrangères, Mamadi Condé, qui les avait informés de la mise sur pied d'une commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les tueries survenues depuis six semaines durant les troubles, notamment à l'occasion des journées des 17 et 22 janvier et du 10 février.

Le 15 février, le Parlement européen avait adopté une résolution [7], dans laquelle il faisait part de sa préoccupation devant l'état d'urgence, les violences, la « répression violente des unités spéciales de l'armée », l'absence de conformité de la nomination de M. Camara à l'accord du 27 janvier. Le Parlement avait en outre décidé d'assurer à sa résolution une large publicité, en la faisant transmettre au Conseil européen, à la Commission européenne, aux gouvernements des 27 États membres de l'Union européenne, à l'Union africaine, à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO), au gouvernement guinéen et au secrétaire général des Nations unies.

Les perspectives

Forts du succès apparent de la mission de M. Babangida, et conscients de la nette fragilisation de la position du président Lansana Conté, les dirigeants de l'intersyndicale ont aussitôt accepté, dimanche 25 février, de suspendre le mouvement de grève générale à compter de lundi à 0 heure. L'un des dirigeants syndicaux, Ibrahim Fofana, leader de l'Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), tempérait malgré tout l'optimisme affiché un peu partout, en souhaitant profiter de la journée de lundi pour saluer la mémoire de l'ensemble des personnes tuées depuis six semaines, ce qui pourrait éventuellement laisser craindre des débordements incontrôlés.

Notes

Sources

Sources anglophones
Sources francophones